Lors de sa recherche pour sa thèse de doctorat (La cinéphanie et sa réappropriation : l’«affect originel» et sa réactualisation par le fan, un spectateur néoreligieux, 2013), Marc Joly-Corcoran souhaitait creuser le sentiment cinéphanique chez les fans. La cinéphanie, selon Joly-Corcoran, se définit comme « toute manifestation affective s’échelonnant sur une courte période de temps, qui suscite un haut degré de satisfaction affective ». À cette fin, il a interrogé plusieurs fans, dont Maxime Girard, un des cofondateurs du Nadeshicon, un festival de la culture japonaise se déroulant à Québec. Grâce à leur autorisation, nous pouvons vous présenter cette entrevue. Bonne lecture!
Marc Joly-Corcoran : Présente-toi en me disant ce que tu fais pour exprimer ta passion de fan.
Maxime Girard : Je suis Maxime Girard, grand fan de la culture japonaise. En fin de compte… je ne suis pas sûr si je suis fan de quelque chose. Je suis plutôt une personne qui est fan de vouloir présenter au monde entier un élément qu’est la culture japonaise. Ce désir de vouloir faire découvrir cette chose m’a mené à m’impliquer de plus en plus dans la société.
Pour exprimer ma passion, j’en parle à mes amis, à mes connaissances, à mes collègues de travail et même parfois à des étrangers qui présentent des éléments en lien avec la culture japonaise (lisant un manga, portant un t-shirt en lien avec le Japon, etc.). Je diffuse l’information sur ma page Facebook, j’accepte de plus en plus de faire des conférences sur les dessins animés japonais (je suis débutant conférencier), je parle des festivals en lien avec la culture japonaise populaire et traditionnelle, j’assiste et je m’implique dans des événements ayant un lien avec la culture japonaise et j’ai même fondé un festival sur la culture japonaise avec l’aide du Club Animé Québec.
M. J.-C. : Avant, soit enfant ou adolescent, tu étais un fan de quoi (une série télé, un film, etc.)?
M. G. : J’étais un fan de vouloir inventer des choses. Je ne savais pas trop quoi. Cela m’a mené à inventer des histoires dans la cour de récréation avec d’autres jeunes. Ensuite, j’ai voulu écrire des histoires vu que mon imaginaire balbutiait autour du fantastique, de la science-fiction et sur l’inconnu. Le tout s’est poursuivi avec la série de TV Star Trek: The Next Generation, que j’écoutais religieusement avec mon père. J’ai reçu un ordinateur 486 en 1995 qui n’avait pas l’Internet, donc j’ai pu m’amuser à écrire des histoires et créer un labyrinthe qui existe toujours sous forme papier dans ma chambre. Mais à travers tous ces moments, un élément a nourri mon esprit plus que tout. Les dessins animés japonais sur la télévision. Je ne savais pas qu’ils étaient créés par des Japonais, mais lorsque je l’ai su pendant ma quatrième année de secondaire (lors de mes 16 ans en 2001), mon monde a chaviré (ça et j’ai eu accès à un ordinateur avec accès haute vitesse à dix pas de ma chambre).
M. J.-C. : C’est quand la première fois que tu te rappelles avoir ressenti une passion de fan pour un film ou une série? Comme une révélation.
M. G. : Une fille geek/nerd/otaku en 2001 dessinait différemment des autres au secondaire. C’était le style « manga ». Elle est venue peu après tenter de réparer mon ordinateur. Michelle (la fille) a téléchargé une chanson avec l’application Napster en attendant que divers programmes terminent de diagnostiquer l’état de mon PC. La chanson était en japonais (Electric Communication de la série Rockman/Mega Man). Ma curiosité était piquée. Une semaine plus tard, j’ai demandé à Michelle si elle connaissait un bon dessin animé japonais. Elle m’a dit qu’il y avait Noir, qui venait de sortir. J’ai écouté cette série et ma vie a trouvé quelque chose à quoi s’accrocher. Cela fait maintenant 12 années que ma vie n’a pas trouvé quelque chose d’aussi enivrant. Ce n’était pas la série qui m’a enivré, mais plutôt le potentiel qui s’y cache. Celui de la culture japonaise et tout ce qu’elle a créé depuis ses débuts.
M. J.-C. : Quels types d’activité fais-tu pour alimenter ta passion de fan?
M. G. :
- J’écoute des dessins animés japonais.
- Je lis parfois des mangas.
- J’assiste à tout ce que je peux qui touche la culture japonaise (à Québec, Montréal, Toronto et ailleurs selon mes finances).
- J’aide à organiser des événements sur le sujet (et en créer aussi!).
- Je participe aux activités sociales du Club Animé Québec qui ont lieu deux fois par semaine à l’Université Laval lorsque le temps me le permet.
- Je m’informe sur Anime News Network des actualités et des nouvelles sorties (je regarde principalement pour les séries les mieux cotées qui paraissent sérieuses et ayant une histoire bien tissée).
- Je commence à donner des conseils aux gens pour les encourager à poursuivre des projets en relation avec l’événementiel (principalement ayant un lien avec la culture japonaise).
- Je m’implique dans d’autres événements pas directement relié à la culture japonaise (Comiccon de Montréal) pour me faire des contacts et développer des habilités pour mieux entreprendre mes objectifs (de devenir un jour coordonnateur culturel dans un consulat ou une ambassade qui touche la culture japonaise).
- Je vais au Musée lorsque le thème touche la culture japonaise et j’assiste aux vernissages (je suis généralement invité au Musée de la Civilisation vu que l’on collabore ensemble de temps en temps).
M. J.-C. : Pourquoi est-ce important pour toi?
M. G. : Sans cet élément déclencheur autour de 2001, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui. Ma technique en chimie analytique n’a jamais été terminée, ainsi que mes autres tentatives en langues au Cégep. En ce moment, je me motive à terminer un bac intégré en Études internationales et langues modernes. Mes études semblent plus dirigées vers les événements que j’organise depuis 2008. Mes expériences en relation avec la culture japonaise me motivent au plus haut point. J’ai investi tant de temps que je ne verrais pas ma vie sans m’impliquer d’une quelconque manière à promouvoir et à découvrir la culturejaponaise de plus en plus.
Enlevez-moi le droit de toucher à la culture japonaise, je vais surement passer à autre chose, mais ce sera définitivement à contrecœur. Si cela a tout du moins un lien avec l’événementiel et la culture, ce sera moins difficile. Je ne pourrai jamais oublier ou mettre de côté tout ce que j’ai appris jusqu’à présent de mes expériences en lien avec la culture japonaise.
M. J.-C. : Comment tes amis et ton entourage t’aident-ils dans l’expression de tes passions? Te découragent-ils?
M. G. : Lorsque j’ai commencé en 2001 à écouter des dessins animés japonais, j’ai voulu le montrer à ma famille. Le plus que j’ai réussi avec mon père est la moitié du premier film de Ghost in the Shell. Ma sœur n’a jamais voulu essayer. Ma mère m’a toujours encouragé et a même porté un intérêt sur la chose. Mon cousin Alexandre aime bien certaines séries animées. Ma famille est venue à un festival que j’ai cofondé (Festival Nadeshicon) et ils se sont bien amusés sans s’y accrocher tout autant. Pour ce qui est de mes amis, j’en ai quelques-uns qui lisent des manga, d’autres qui écoutent autant de séries animés que moi. D’autres n’écoutent pas de séries ou ne s’intéressent pas particulièrement à la culture japonaise, mais m’encouragent énormément et me conseillent à travers mes périples.
M. J.-C. : Pourquoi te rassembler avec d’autres qui pensent comme toi? Est-ce important?
M. G. : Plus on est, plus il y a des possibilités à partager nos pensées de diverses manières. Bien sûr, il y a de la discorde, mais en travaillant tous sur un seul et même objectif, les résultats peuvent être spectaculaires. Le Festival Otakuthon est né de quelques passionnés, de fans dans une université. Le Festival Nadeshicon commence à se faire connaître localement et à travers l’est du Canada. Japan Expo à Paris est gigantesque. Comiket au Japon est… plus de 500 000 passionnés. Plus on est de fans, plus il y a des activités qui se développeront pour nourrir cette faim insatiable. Les intérêts et les passions peuvent changer à travers le temps pour chaque individu, mais ce qu’on aura fait restera à jamais dans nos souvenirs et dans ceux du monde entier.
M. J.-C. : Quelles sont les émotions que tu pourrais associer au mot « fan », et que tu as ressenties la première fois (question 3)?
M. G. : Un sentiment d’accomplissement, de bonheur, de possibilités, de l’infini et plus loin encore…