L’amour comme un roman (Marie-Pier Luneau et Jean-Philippe Warren) | Bulles pop | Épisode 014

Qui a dit que la lecture dite « légère » ne pouvait être prise au sérieux? Dans ce 14e épisode de Bulles pop, nous recevons Marie-Pier Luneau et Jean-Philippe Warren, auteurs du livre L’amour comme un roman : le roman sentimental au Québec, d’hier à aujourd’hui.

(TW : Violences sexuelles)

Fascinée par l’univers des livres depuis toujours, Mme Luneau a développé un intérêt pour la littérature populaire lorsqu’elle a effectué son baccalauréat. C’est également à l’université que M. Warren a découvert, tout comme sa collègue, comment on peut apprendre beaucoup de choses sur nos sociétés à travers la littérature : « parce que la littérature dit ce qui est, mais en même temps, c’est un immense réservoir à fantasmes, à rêves de toutes sortes. »

En poursuivant son intérêt pour la littérature populaire, Mme Luneau découvre La Corrida de l’amour: le roman Harlequin, un ouvrage dirigé par Julia Bettinotti. Puis, en tant que professeure à l’Université de Sherbrooke, elle a la chance d’avoir accès à deux importantes collections de fascicules (François Hébert et Richard Saint-Germain), c’est-à-dire des petits livres publiés à partir des années 1940.

« Ça faisait des années donc que ça avait été déposé à l’université, à Sherbrooke. Je ne savais pas par quel bout prendre ça. Mais il y a une chose que je savais : c’est que si on voulait développer des projets autour de ces imprimés-là, il fallait absolument avoir un sociologue qui réfléchit, parce que c’est trop ancré dans les imaginaires, puis qu’il faut bien comprendre l’évolution des sociétés. »

Et c’est ainsi qu’elle développa une collaboration avec M. Warren, lui-même sociologue, et que le projet De l’amour à 10 sous est né.

En plus de codiriger ce projet, les deux chercheurs se sont lancés dans l’écriture d’une synthèse sur le roman sentimental publié au Québec de 1830 à nos jours. Mais qu’est-ce qu’un roman sentimental, au juste?

Selon Mme Luneau, pour un roman soit considéré sentimental, l’amour doit être le sujet principal, mais l’histoire doit également répondre à une certaine trame narrative : la rencontre des héros, leur séparation, puis leur réunion.

« Dans le discours, la valeur suprême du roman sentimental, c’est de dire, au fond, qu’il n’y a rien de plus important que l’amour. »

Environ 150 romans furent analysés pour l’écriture de cet essai, un nombre surprenant pour M. Warren. Par contre, parmi les surprises qu’il a découvertes, il a constaté que l’amour ne venait jamais seul :

« Il est toujours accompagné. Il y a toujours quelque chose d’autre, une espèce d’ingrédient, qui lui donner sa saveur. Alors, pendant longtemps, au contraire de ce qu’on aurait pu penser, l’argent a été intimement associé au sentiment amoureux. On ne se mariait jamais par amour, mais on finissait toujours par marier quelqu’un de riche. [Rires] Et donc, ça a été intéressant de voir que, tout en niant le fait que l’amour puisse être dépendant d’autre chose, on ne cessait de répéter quand même qu’il y avait certains traits liés à l’amour, certaines caractéristiques associées à l’amour qui devaient être prises en compte lorsqu’on devait tomber en amour. »

Toutefois, il y a certains sujets plus sombres qui doivent être pris en considération, comme la popularité des sagas du viol à partir des années 1970, alors que les héroïnes subissent des violences sexuelles par leur époux ou leur futur époux. À l’inverse, dans les années 2000, les héroïnes ont une sexualité plus acceptée, mais redécouvrent leur sensualité entre les bras de l’élu de leur cœur, comme si elles faisaient l’amour pour la première fois.

« Dans le fond, on aurait tendance à […] se dire : plus ça va aller, plus l’amour va être libéré de ses chaînes, dit Mme Luneau. Or, ça, je pense qu’on le martèle bien dans le livre, ça dépend sous quel angle on regarde. Bien sûr, aujourd’hui, par exemple, l’héroïne de chick lit ne va pas être tentée, deux secondes, de marier un bon catholique canadien-français. Ça, ça ne pèse plus sur la relation amoureuse. Mais c’est d’autres chaînes qui sont formées, qui étaient là en germe dans la matrice du roman sentimental. C’est important de dire que le motif du héros qui envahit l’espace de l’héroïne, c’est un des fondements du roman sentimental depuis ses débuts. »

Malgré ce constat plutôt pessimiste, il y a encore plein de choses à raconter sur les romans sentimentaux. À titre d’exemple, les deux chercheurs prévoient publier un livre sur l’art des couvertures de fascicules, abondamment illustrées par André l’Archevêque, et qui rappellent à quel point l’amour fait rêver, peu importe l’époque.

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