Comme beaucoup de Québécois et de francophones à travers le monde, je suis une fan de Paul. Avec 9 tomes sortis de 1999 à 2019, cette série de bandes dessinées a su me captiver avec ses histoires ordinaires de gens extraordinaires.
Lorsque j’ai su que La Pastèque sortirait un livre d’entrevues avec l’auteur de la série, je savais qu’il me le fallait. La critique est certes biaisée, mais je tenais à vous résumer le mieux possible ce livre incontournable.
À propos du livre Paul : entretiens et commentaires
Paul : entretiens et commentaires est le résultat d’entretiens entre Michel Giguère, médiateur culturel en bande dessinée, et Michel Rabagliati, auteur de la série de bandes dessinées Paul. Ce beau livre fut publié par La Pastèque en mars 2022.
Au fil des 10 chapitres, on découvre l’œuvre de Rabagliati sous un autre regard, agrémenté d’extraits de sa série.
Chapitre 1 : Soigner son entrée
Dans ce premier chapitre, on s’intéresse à l’art de l’amorce, mais aussi à ce qui a mené Michel Rabagliati à devenir bédéiste. D’abord graphiste, puis illustrateur, il dit ceci à propos de son premier album, Paul à la campagne :
« En regardant ces pages, je vois l’urgence de parler qui me tenaillait à cette époque. L’envie de faire de la BD ne s’est pas manifestée par le biais du dessin pour moi – je dessinais abondamment pour mes clients. C’est l’envie de parler, de raconter et de communiquer qui m’y a poussé. J’avais besoin d’un correspondant à qui écrire. Le lecteur est devenu ce correspondant. » (p. 20)
Chapitre 2 : Remonter à la surface
Après une discussion sur l’enfance de l’auteur, ce dernier explique les étapes du procesus de réalisation d’un album de Paul (écriture du synopsis, découpage, encrage…). Par exemple, lorsqu’il est question du découpage :
« Je dirais que le travail le plus excitant est ici. C’est à ce moment que l’on devient metteur en scène, responsable du casting, dialoguiste, décorateur et costumier à la fois. On devient Dieu le Père. On a tous les pouvoirs et on contrôle le spectacle de A à Z. C’est malheureux qu’il manque la musique et les effets sonores, mais encore, on peut arriver à les faire entendre assez bien parfois en BD. » (p. 70 )
Chapitre 3 : La vie vaut la peine d’être dessinée
Avec ce chapitre, Giguère questionne Rabagliati sur son rapport avec l’autofiction et l’autobiographie, puisque les événements relatés dans les albums de Paul sont tirés de faits vécus. Ainsi, pour Paul à Québec, l’auteur avait pris un arrangement avec sa belle-famille, qui a pu commenté tous les passages où ils étaient impliqués dans le récit :
« J’ai même interviewé mon beau-père sur lit de mort, il était au courant et fier que je raconte son histoire. C’était la procédure à utiliser : demander la permission et laisser mon livre ouvert à tous. Ça a été bénéfique, j’ai obtenu des précisions et des ajouts supplémentaires que j’ignorais, directement de ma blonde et de ses sœurs. Finalement, ça a fait une meilleure histoire. » (p. 90)
Chapitre 4 : Garder le passé vivant
Comme le mentionne ce chapitre, celui-ci est consacré au passé, que ce soit la nostalgie ou le travail de reconstitution du passé de Paul. Lorsque Giguère fait la remarque que Montréal est quasiment un personnage en soi, Rabagliati lui répond :
« C’est vrai que Montréal est souvent une sorte de personnage dans mes livres. En tout cas, c’est la toile de fond qui revient le plus souvent. J’ai voulu montrer ma cité comme elle est, c’est-à-dire accueillante, mais pas toujours jolie. Montréal est loin d’être une carte postale comme Québec ou Victoria. C’est un mini New York déglingué et pas très homogène. » (p. 108)
Chapitre 5 : Tremper sa plume dans la culture
Comme la culture est un des thèmes souvent abordés dans les albums de Paul, celui-ci fait l’objet d’un chapitre entier, dans lequel on aborde aussi les arts, les loisirs, l’adaptation cinématographique de Paul à Québec… et un peu de sport. À propos de la musique, Rabagliati mentionne :
« La musique occupe encore une très grande place dans ma vie. J’y suis hypersensible, je dois gérer ce que j’écoute et le moment où je l’écoute. Autant la musique peut me rendre euphorique, autant elle peut me faire du mal. Certaines musiques ont un tel pouvoir sur mes émotions, une telle puissance évocatrice, que je me retrouve parfois plus déprimé qu’avant d’en écouter. Cette hypersensibilité me sert et me dessert en même temps. Elle est utile pour écrire des histoires ou faire de l’art, mais elle est nuisible pour composer avec les choses plus dures et factuelles de la vie. C’est sans doute le lot de pas mal d’artistes, j’imagine. » (p. 127)
Chapitre 6 : L’art et la mécanique de la mise en scène
Dans ce chapitre, la composition de l’image ainsi que les points de vue sont analysés. Il est d’ailleurs pertinent de souligner le travail rigoureux de Michel Giguère, qui analyse plusieurs planches des albums de Paul par le biais d’interludes. À titre d’exemple, lorsqu’il introduit la composition de l’image :
« Composer une image, c’est un peu comme organiser l’espace dans une pièce, lorsqu’on emménage. Dans une case, on place non pas des meubles et des objets domestiques, mais des personnages, des éléments de décor… et des bulles! C’est d’ailleurs souvent un défi de bien positionner les phylactères de manière à ce qu’ils demeurent discrets, et c’est parfois judicieux qu’ils envahissent l’espace, pour suggérer, par exemple, que les personnages sont volubiles. Mais alors, un autre défi s’impose : les disposer en respectant l’ordre de lecture de la conversation, sans l’ombre d’une confusion! » (p. 149)
Chapitre 7 : Raconter à son rythme
Le rythme est le thème principal de ce chapitre. Il peut être ralenti ou accéléré dans une bande dessinée, mais il peut aussi être entrecoupé grâce aux ellipses. Pour, Rabagliati, l’ellipse a son utilité dans un récit :
« Inutile (à moins qu’on soit Jacques Tati) de faire un plan séquence de 20 minutes montrant un gars qui regarde un panneau sur lequel il est écrit Hôpital, de le suivre, de le voir ouvrir la porte de l’hôpital, de marcher dans les couloirs, de s’informer au comptoir, de prendre un ascenseur, d’en sortir, etc. Non, deux plans et le tour est joué. Pourquoi? Parce que le lecteur est intelligent. Et celui d’aujourd’hui l’est davantage. » (p. 179)
Chapitre 8 : Paul à la planche
Au chapitre précédent, nous avons vu l’étape du découpage. Cette fois-ci, on s’attarde principalement à la mise en scène sur une planche, voire une mise en scène en double planche. Une des particularités de l’œuvre de Rabagliati, c’est l’utilisation du moule à gaufre, c’est-à-dire une planche découpée en six cases égales (ou plus). L’auteur explique pourquoi il a recours à cette technique :
« D’abord, pour banaliser certaines séquences, pour indiquer au lecteur que tout dans la page a le même niveau d’importance. La case deux n’est pas plus importante que la case quatre ou cinq. Tout est égal en intention et en signification. Par exemple, le personnage circule en voiture sur l’autoroute, il croise des voitures, des commerces, c’est un temps neutre, un moment de transition, une séquence tampon qui nous amènera ailleurs où il y aura plus d’action. » (p. 202)
Chapitre 9 : Représenter l’indicible
Dans ce chapitre, le symbolisme et l’humour font partie des thèmes explorés. Rabagliati apporte également une précision concernant son personnage :
« J’ai appelé mon personnage Paul plutôt que Michel dès le départ, ça peut sembler idiot, mais juste à cause de ça, je me sens protégé. Paul, c’est moi, mais pas tout à fait. Il est dessiné, moi pas. Il me ressemble, mais pas à 100 %. Nous sommes deux gars différents. Lui c’est la marionnette aux expressions exagérées, il le faut, car c’est du spectacle! Il est soupe au lait, irascible, nerveux, dépassé par son époque, moi je suis le marionnettiste, un brin plus calme, on me devine, mais on ne me voit pas, je suis derrière le rideau. » (p. 223-224)
Chapitre 10 : Ménager sa sortie
Enfin, pour ce dernier chapitre, on aborde les manières de conclure une histoire. L’auteur de la série revient également sur les parallèles entre son œuvre et sa vie personnelle :
« Je réalise aujourd’hui, en te parlant de tout ça, combien les émotions que je vivais sur le plan personnel au moment où je travaillais mes livres sont incrustées en filigrane, bien présentes. Seul moi peux les voir, mais je les vois très clairement. Les planches de mes cinq premiers livres sont gaies, rebondissantes et pleines d’espoir, les livres suivants s’assombrissent peu à peu sans que j’en aie vraiment conscience. C’est assez intéressant d’analyser ça. Je pourrais presque te dire, en regardant chacune des 1418 de la série, l’état d’esprit dans lequel je me sentais cette semaine-là. » (p. 252)
En conclusion
Paul : entretiens et commentaires est un must pour les fans de la série Paul. L’expertise de Michel Giguère en bande dessinée se ressent très bien à travers les cases et les planches analysées et il est maître dans l’art de la vulgarisation. Quant à Michel Rabagliati, celui-ci fait preuve de générosité dans ses témoignages, abordant des événements intimes et douloureux de sa vie.
Toutefois, les personnes novices de la série pourraient se perdre à travers les entretiens. Il aurait été intéressant d’inclure une ligne du temps des albums parus en ordre chronologique afin de mieux percevoir l’évolution de l’œuvre de Rabagliati.
Quoiqu’il en soit, ce livre est effectivement un beau livre, qui est aussi fait pour être admiré. D’ailleurs, après le chapitre 10, on retrouve une panoplie de dessins et de bandes dessinées, regroupés dans la section « Curiosités ». Bref, que vous soyez bédéphile ou amoureux de l’art graphique en général, vous trouverez aisément votre compte avec cet ouvrage.
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