J’ai lu : D’Asimov à Star Wars : représentations politiques dans la science-fiction

Après ce qui semblait être une éternité, j’ai enfin pu lire le dernier livre de mes trois achats au Congrès Boréal à Sherbrooke. C’est ce qui arrive lorsqu’on ne cesse d’ajouter d’autres ouvrages à sa liste de lecture! Par contre, je crois que cette attente a valu la peine, puisque ma lecture de ce livre arrivait à un moment où je m’interrogeais sur la capacité de la science-fiction à aborder les enjeux contemporains.

À propos d’Asimov à Star Wars : représentations politiques dans la science-fiction

Représentations politiques dans la science-fictionD’Asimov à Star Wars : représentations politiques dans la science-fiction fut publié aux Presses de l’Université du Québec en 2016. Ce recueil d’études est sous la direction d’Isabelle Lacroix et de Karine Prémont, toutes deux professeures adjointes à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Les directrices et auteurs – spécialisés en politique, en éthique ou en technologies – espèrent voir ce livre remplir trois objectifs distincts :

Tout d’abord, il souhaite offrir un éclairage nouveau sur les représentations des rapports de force et les structures de pouvoir et de gouvernement qui existent au sein de nos sociétés occidentales par le biais de l’étude d’œuvres de science-fiction, notamment par la multidisciplinarité des auteurs et des enjeux abordés. Ensuite, il veut démontrer la pertinence pédagogique de l’utilisation de la science-fiction – et plus largement, de la culture populaire – pour présenter et expliquer des enjeux politiques complexes, dynamiques et pluralistes. Finalement, cet ouvrage se veut également ludique : les auteurs qui y présentent des textes sont généralement des amateurs de science-fiction plutôt que des spécialistes du cinéma, de la télévision ou de la littérature. Il convient donc de voir leur travail avant tout comme une réflexion passionnée – mais néanmoins rigoureuse – sur la science-fiction en tant qu’outil d’analyse sociale, politique et éthique, mais également comme une façon de mieux comprendre les rapports de force tels que nous les percevons collectivement. (Prémont, p. 21)

Cet ouvrage est divisé en trois parties : les fondements politiques; les représentations politiques et les institutions démocratiques; et les enjeux identitaires, sécuritaires et éthiques. Chaque partie comporte trois chapitres, s’appuyant sur des œuvres de science-fiction littéraires, télévisuels ou cinématographiques.

Nouvelles sociétés, nouveaux régimes politiques. L’apport paradigmatique de la science-fiction dans l’observation des régimes politiques actuels (par Thierry Dominici)

Dans ce premier chapitre, Dominici démontre comment la science-fiction peut servir d’outil d’analyse des régimes politiques actuels, mais aussi passés et futurs. Après une discussion sur les utopies et les dystopies, il présente deux nouvelles de dystopies cauchemardesques peu étudiées ensemble : « La caverne » (1920), d’Evgueni Zamiatine, et « Matin brun » (1998), de Franck Pavlov.

Dans ces deux textes, les auteurs traitent de la question de la banalisation du mal, du poids du discours propagandiste et du fatalisme paradoxal d’une société, imaginaire ou pas, attirée par le despotisme que nous pouvons qualifier de démocratique au sens de Tocqueville et renforcé par la légitimation, pour les citoyens, d’un pouvoir autoritaire des institutions. Nous pensons que ces deux dystopies illustrent au mieux l’avant et l’après-totalitarisme, c’est-à-dire la période du prétotalitarisme (« Matin brun ») et celle du post-totalitarisme (« La caverne »). (Dominici, p. 32)

Un retour à l’état de nature pour l’être humain du futur? Analyse comparée de Les derniers rayons du soleil, Pandorum et Interstellaire (par Pier-Olivier St-Arnaud)

Avec ce chapitre, St-Arnaud s’intéresse à l’état de nature, un concept d’abord élaboré par Thomas Hobbes, puis repris par John Locke :

Hobbes entend par l’état de nature un état où il y a absence de pouvoir commun centralisé dans les mains d’un ensemble. Cet état est marqué par une paix que l’on qualifie de faible, puisque le droit naturel permet la défense des intérêts individuels qui s’orientent dans une fonction de survie. Sans un pouvoir commun, Hobbes considère que l’être humain se retrouve dans la spirale de la guerre chronique. (St-Arnaud, p. 41)

Que se passerait-il si, éloignés de la Terre et des forces politiques, des passagers de vaisseaux spatiaux devaient prendre des décisions? Pour répondre à cette question, St-Arnaud présente et analyse différentes scènes de trois œuvres cinématographiques de science-fiction : Les derniers rayons du Soleil (2007), Pandorum (2009) et Interstellaire (2014).

L’anthropologie humaine dans la science-fiction. Une approche libérale (par Sidney Floss)

Floss nous explique une vision libérale de l’anthropologie selon l’économiste et philosophe Friedrich von Hayek :

Dans Droit, législation et liberté (1973), il explique qu’une organisation sociale construite par des rapports de marché (qu’il appelle ordre spontané) est nécessairement plus efficace qu’un ordre construit. […] En effet, parce que chaque individu adapte son activité à la situation à laquelle il est confronté à partir de ses connaissances propres, l’ordre spontané permet une plus grande adaptabilité. (Floss, p. 58)

C’est cette adaptabilité qui donnera un avantage à l’espèce humaine dans deux cas étudiés par Floss : les romans du Cycle des robots d’Isaac Asimov et La stratégie Ender d’Orson Scott Card.

L’univers de Star Wars. Une démonstration de la fragilité de la démocratie (par Samuel Labrecque et Isabelle Lacroix)

Dans ce chapitre, Labrecque et Lacroix utilisent la théorie de l’anacyclose pour expliquer l’évolution des régimes politiques présents dans l’univers de Star Wars. En effet, d’après Polybe, historien de la Grèce antique, la théorie de l’anacyclose est un cycle de six phases expliquant les changements de régime :

Cette théorie cyclique fait basculer la monarchie dans la tyrannie, suivie de l’aristocratie à l’oligarchie et de la démocratie à l’ochlocratie. C’est donc en analysant les signes et les facteurs liés à la chute de la « démocratie galactique » dans l’œuvre de science-fiction de Lucas que nous pourrons tenter d’illustrer la fragilité orchestrée de toutes pièces par l’empereur Palpatine. (Labrecque et Lacroix, p. 84)

Star Trek versus Stargate. Quel individu pour quelle collectivité ou quelle collectivité pour quel individu? (par Isabelle Lacroix)

Lacroix se penche sur la place qui est réservée à l’individu dans l’univers de Star Trek ainsi que dans celui de Stargate. Quatre thématiques sont explorées : le rapport à l’exercice du droit, la notion de raison d’État, la présence des élites et l’usage du sacrifice.

À partir des exemples d’extraits d’épisodes présentés, nous pouvons conclure que la collectivité de Star Trek est bel et bien porteuse d’épanouissement pour les individus qui la composent et acceptent d’évoluer en conformité avec ses principes fondateurs. De son côté, dans l’univers de Stargate, la collectivité est présentée comme une contrainte, fréquemment un obstacle à l’épanouissement des individus qui eux possèdent talents, volonté et détermination. (Lacroix, p. 123)

Ensuite, vers la fin de ce chapitre, Lacroix utilise la série Firefly pour offrir un contre-exemple dans lequel des individus sont en rupture avec leur collectivité.

Réinterprétation et transposition. L’histoire, les institutions et les dynamiques politiques américaines dans Battlestar Galactica (par Charles Tessier et Charles-Antoine Millette)

Pour ce chapitre, Tessier et Millette analysent Battlestar Galactica, soit la minisérie (2003) suivie des quatre saisons de la série (2004-2009). Selon ces auteurs, nous pouvons retrouver, dans ces œuvres de science-fiction, différentes représentations liées à l’histoire ainsi qu’aux institutions et aux dynamiques politiques des États-Unis. Par exemple, dans le cas d’une succession présidentielle :

En effet, la minisérie met en scène une succession présidentielle contestable qui opposera Laura Roslin, secrétaire de l’Éducation, aux militaires. Lorsque le président, le vice-président ainsi que la plupart des membres du Cabinet sont tués dans l’attaque fatidique des Cylons sur les Douze Colonies, Roslin est la seule survivante. Elle évoque alors une ligne de succession qui comprend les membres du cabinet. […] Une telle ligne de succession est également en vigueur aux États-Unis depuis 1947. (Tessier et Millette, p. 131)

L’évolution des superhéros dans les comic books américains. La représentation de la diversité et de la féminité au XXIe siècle (par Élisabeth Vallet)

Comme l’indique le titre de ce chapitre, Vallet s’intéresse à la représentation de la diversité et de la féminité dans les comic books américains, dans une ère post-11-Septembre. L’un des exemples présentés, Kamala Khan (alias Ms. Marvel), est une adolescente musulmane dotée du pouvoir de métamorphe. Pourtant, selon Vallet, il existe un risque de renforcer les stéréotypes liés à l’oppression des femmes en abordant la question de l’islam :

Dans le premier tome de Kamala Khan, cette jeune fille de 16 ans, issue d’une famille conservatrice et traditionaliste, est dépeinte comme une adolescente prise dans l’étau des bonnes valeurs (américaines) et des valeurs obscurantistes (sa famille) – dialectique qui sert souvent de base à la criminalisation du voile : si les scénaristes ont encore une marge de manoeuvre pour ajuster la définition de cet équilibre, l’écueil est grand et comporte le risque de reproduire le manichéisme de « An American Tail » en l’adaptant à la question de l’islam américain […]. (Vallet, p. 150)

Mobilité, vie algorithmique et société de surveillance dans Person of Interest. La traque du National Security State cyberspatial (par David Grondin)

Dans ce chapitre, le National Security State pourrait se résumer par l’ensemble des institutions gouvernementales américaines liées à la sécurité nationale. Après avoir abordé la société de surveillance ainsi que la sécurité algorithmique, Grondin s’intéresse à la représentation du National Security State dans la série télévisée Person of  Interest :

La série Person of Interest permet à merveille d’étudier la vie mobile, urbaine, suivie à la trace et connectée des sociétés en réseaux et que traque le National Security State cyberspatial. Lorsque l’on visionne Person of Interest dès les débuts, on semble bien être en présence d’une dystopie, une sorte de scénario cauchemardesque de surveillance omnisciente orchestrée par la pénétration toujours plus grande des caméras de surveillance et des capacités intelligentes dans les technologies mobiles. […] La série télévisée permet donc de représenter la surveillance algorithmique, à savoir la capacité de géolocaliser, de filmer, de suivre à la trace et de calculer les potentialités de divers scénarios. (Grondin, p. 186)

Les enseignements d’Asimov sur les enjeux politiques du développement de la robotique (par Jean-Pierre Béland, Georges-Auguste Legault, Jonathan Genest et Jacques Beauvais)

Pour ce dernier chapitre, les auteurs analysent le Cycle des robots d’Asimov et reviennent sur les rapports de force qui y sont dévoilés : le rapport de force science-économie-société, le rapport de force entre les humains et les robots et le rapport de force interplanétaire, soit entre les anciennes colonies de la Terre et la Terre elle-même. Ainsi, lorsqu’il est question du rapport de force entre la science, l’économie et la société, le développement de la robotique (la science) répond à un besoin sociétal (la surpopulation) et économique (l’établissement de colonies) :

Ce qui rend le robot nécessaire dans l’œuvre d’Asimov, c’est le contexte de la surpopulation. Pour répondre à la pénurie des richesses sur Terre, l’établissement de colonies ayant pour but d’exploiter les richesses naturelles des autres planètes devient nécessaire. Or, les conditions de travail sur les colonies sont telles que les robots spécialisés sont la clé de la réussite. Le besoin d’exploitation des ressources naturelles dans les colonies constitue la raison d’être du développement de la robotique dans le contexte économique. (Béland, Legault, Genest et Beauvais, p. 206)

En conclusion

D’Asimov à Star Wars : représentations politiques dans la science-fiction est un livre accessible au grand public. À travers des œuvres bien connues et aimées par les auteurs, nous découvrons des concepts intéressants, comme la société de surveillance ou la dystopie cauchemardesque.

Cependant, si je n’avais qu’un seul reproche à faire, c’est le manque d’analyse d’œuvres de science-fiction québécoise et francophones. Je pense entre autres aux Chroniques du Pays des Mères, d’Élisabeth Vonarburg, qui présente l’influence d’une société quasi féminine non seulement sur la gouvernance politique, mais également sur la langue.

Néanmoins, je vous recommande la lecture de ce livre, ne serait-ce que pour voir vos œuvres de science-fiction préférées analysées sous un nouvel angle. Si vous avez aimé ma critique et souhaitez encourager les auteurs (et moi), vous pouvez vous procurer ce livre via mon lien d’affiliation. Merci!