Cette semaine, à l’épisode 6 de Bulles pop, Anna Giaufret aborde la bande dessinée québécoise sous un point de vue linguistique. Professeure adjointe au Département de langues et cultures modernes et françaises à l’Université de Gênes (Italie) et membre international du Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises de l’Université McGill, Mme Giaufret est une passionnée des langues.
D’origine française, Mme Giaufret a vécu une grande partie de sa vie en Italie. Après avoir fait des études en langue anglaise, elle a eu l’envie d’étudier ailleurs.
« Donc, j’ai demandé des bourses pour l’étranger, raconte-t-elle. Et j’avais demandé deux bourses dans des pays anglophones et une bourse au Québec. C’est le Québec qui m’a donné la bourse. Et donc, je suis partie faire mes études à Montréal, à l’Université du Québec à Montréal. Et puis, j’ai commencé un doctorat en études québécoises à l’Université de Bologne, en Italie. Et c’est là que tout a commencé. »
En effet, c’est avec cette expérience au Québec que Mme Giaufret s’est intéressée à la sociolinguistique, c’est-à-dire l’étude de « la relation entre les phénomènes sociaux et les phénomènes linguistiques ».
« Et je trouve que, de ce point de vue là, le Québec, c’est une réalité merveilleuse, parce qu’il y a cette politique linguistique tellement intéressante et cette continuation […] du développement de la langue française depuis des siècles, qui est tout à fait extraordinaire. »
Pour mettre en contexte cette réalité sociolinguistique, il faut rappeler que le Québec, qui a été à l’origine une colonie française du 16e au 18e siècle (la Nouvelle-France), est devenu ensuite une colonie britannique après la guerre de Sept Ans.
« Depuis ce qu’on appelle la Conquête de la part des Anglais, le Québec se trouve dans une situation de minorité linguistique au sein du Canada. Ce qui est vrai aussi évidemment pour d’autres communautés francophones au Canada, que je ne veux pas oublier, mais sur lesquelles j’ai moins travaillé, donc, je peux moins m’exprimer, mais je pense notamment à l’Acadie et aux Franco-Ontariens. Donc, le Québec, qui se trouvait donc dans cette situation de minorité linguistique à l’échelle du Canada, mais en situation de majorité linguistique au sein de la province, il a mis en œuvre toute une série de mesures qui ont permis non seulement la survie de la langue française, mais aussi son développement. »
Grande liseuse de bandes dessinées (surtout franco-belges), c’est avec la série Magasin général que Mme Giaufret a découvert la bande dessinée québécoise.
« Et j’ai découvert qu’il y avait eu tout un débat linguistique sur Magasin général […]. Parce que cette bande dessinée, qui a été réalisée par des auteurs qui ne sont pas des auteurs québécois, mais qui vivent au Québec [Régis Loisel et Jean-Louis Tripp], et dont la partie linguistique a été révisée par un auteur québécois [Jimmy Beaulieu] a suscité une polémique […] dans la presse […] parce qu’on a reproché donc à cette langue de ne pas respecter le français québécois tel qu’il était réellement dans les années 20 du 20e siècle. »
Et c’est ainsi que la chercheuse se lança dans l’analyse du français québécois dans les bandes dessinées québécoise et se concentra particulièrement sur les auteurs montréalais.
« Ce que je voulais faire, c’était d’analyser non pas le français québécois en général, mais je voulais vraiment me concentrer sur une génération – en fait, ce sont des auteurs qui sont tous nés entre 72 et 91. Et sur une période de publication, c’est-à-dire les années essentiellement entre 2010 et 2015. Et sur un lieu précis, parce que le français québécois, contrairement bon à ce que la plupart des locuteurs français ou francophones non québécois pensent, ce n’est pas un objet homogène. Mais bien sûr, c’est un objet qui, à l’intérieur, a des variations. Des variations dans l’espace, des variations dans le temps, des variations aussi selon la situation de communication, etc. »
Son livre, Montréal dans les bulles : représentations de l’espace urbain et du français parlé montréalais dans la bande dessinée, est le résultat d’une longue réflexion et de plusieurs études sur la bande dessinée québécoise depuis les années 2010. On y retrouve non seulement une analyse sur le français parlé montréalais, mais aussi une section sur l’espace dans la bande dessinée :
« Ce qui est intéressant dans la bande dessinée, c’est que la bande dessinée, elle peut jouer sur le fait qu’elle a un espace à sa disposition, donc l’espace de la planche, de la case pour représenter un autre espace, qui est l’espace réel que l’auteur a l’intention de représenter. »
De plus, contrairement à la photographie, le bédéiste peut sélectionner les éléments de son choix et manipuler l’espace à sa manière.
Bien entendu, Mme Giaufret est loin d’avoir terminé ses études sur la bande dessinée. En ce moment, elle participe à un projet initié par Wim Remysen, directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec (CRIFUQ). Il s’agit d’un projet mené par l’Université de Sherbrooke, qui consiste à créer le Fonds de données linguistiques du Québec, une plateforme qui regroupera « un ensemble de données qui illustrent les usages du français en contexte québécois » et dans laquelle nous retrouverons, bien entendu, des bandes dessinées. C’est également l’Université de Sherbrooke qui a développé Usito, un dictionnaire électronique qui décrit le français standard en usage au Québec. Comme quoi l’avenir du français québécois se trouve autant dans la langue orale que sur le Web…
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