[Cet article a été publié originellement le 12 septembre 2015 sur Syndromemag.]
Notre sujet de la semaine portera sur un débat hautement volatil, soit celui des fake geek girls. Bien que le but de cette chronique ne soit pas de mettre un terme à ce débat, nous souhaitons plutôt vous présenter un éclairage sociologique grâce à un récent article paru dans le International Journal of Communication.
À propos de l’auteur
Joseph Reagle enseigne au département des études en communication à l’université Northeastern (États-Unis). Il possède un intérêt pour la culture numérique ainsi que le féminisme geek. Ses plus récentes publications incluent un livre sur les commentaires dans le web, un chapitre consacré au revenge rating et un article sur le sexisme dans la culture libre.
À propos du sujet
Selon Reagle, le débat sur les fake geek girls pourrait remonter à 2012 lorsque Tara Tiger Brown a écrit un article intitulé « Dear Fake Geek Girls: Please Go Away ». Selon Brown, ces fake geek girls découragent et éclipsent les femmes geeks authentiques, ce qui a généré des milliers de commentaires à travers le web.
Pendant longtemps, les geeks et les érudits ont tenté de comprendre ce que signifiait être un geek et atypique, dans un contexte où les identités nerd et geek sont représentées par un homme blanc. Ils ont entre autres pu remarquer que le geekdom (la communauté de geeks) est souvent hiérarchisé et sexué, pouvant ainsi défavoriser les femmes, qui se retrouvent devant la double contrainte d’être trop geek et de ne pas l’être assez.
À propos de la recherche
Lors de sa recherche, Reagle utilise la théorie des champs du sociologue Pierre Bourdieu pour analyser le débat sur les fake geek girls durant 2012-2013. Selon Bourdieu, chaque champ permet d’acquérir un capital, soit culturel (ex. : connaissances), économique (ex. : possessions), social (ex. : réseau d’amis) ou symbolique (ex. : renommée d’une personne). Reagle ajoute également le capital érotique à son analyse, une notion décrite par la sociologue Catherine Hakim incluant la beauté, le sex appeal et les compétences sociales.
À partir de ces théories, le rôle de la booth babe (une femme séduisante payée pour attirer des geeks mâles hétérosexuels vers le kiosque d’un promoteur) peut être interprété comme un capital érotique (de la femme) convertit en capital économique (pour le promoteur), excluant ainsi le capital culturel (les connaissances obscures) prisé par les geeks. Le capital érotique, pouvant aussi être appliqué aux femmes pratiquant le cosplay, est cependant l’objet de débats sur les intentions et les interprétations derrière les costumes.
Si Reagle rappelle que les geeks ne sont pas les seuls à s’inquiéter pour leur identité (les punks se sont également préoccupés à se distinguer des « aspirants punks »), il mentionne également que le geekdoom connaît une crise en raison des frontières poreuses entre le geekdoom et le mainstream. Le débat sur les fake geek girls révèle aussi une tentative de contestation sur ce que signifie être geek : plutôt que d’être basé sur les connaissances obscures ou le rejet du mainstream, le geekdom peut être basé sur l’amour du partage.
Pour en savoir plus sur cette étude, vous pouvez la consulter à l’adresse suivante : http://ijoc.org/index.php/ijoc/article/download/3066/1458