Pour les Québécois, Rock et Belles Oreilles n’a nul besoin de présentation. Pour les autres, il s’agit d’un groupe humoristique québécois des années 1980 et 1990 qui, parfois, revient à l’occasion. Surtout reconnu pour ses sketches à la télévision, il a avant tout débuté à la radio, et a également monté sur scène.
Lorsque j’ai appris, dans une entrevue radiophonique, l’existence d’un livre examinant l’œuvre de ce groupe, j’ai immédiatement contacté la maison d’édition de cet ouvrage afin de demander une copie de presse. Je la remercie chaleureusement pour sa générosité, puisque je ne pouvais passer à côté de cette analyse pertinente.
Sans plus tarder, voici ma critique!
À propos de Rock et Belles Oreilles : analyse de l’œuvre d’un groupe mythique
Rock et Belles Oreilles : analyse de l’œuvre d’un groupe mythique est publié par Lévesque éditeur en octobre 2019. Il est le deuxième Cahier de l’Observatoire de l’humour, un organisme qui s’implique dans le développement et la diffusion de la recherche sur l’humour.
Les directrices de cet ouvrage, Lucie Joubert et Christelle Paré, sont des chercheuses sur l’humour. Alors que Joubert a codirigé, avec Robert Aird, le premier Cahier de l’Observatoire de l’humour (Les Cyniques. Le rire de la révolution tranquille), Paré rédigé la première thèse de doctorat en études de l’humour au Québec (« L’industrie du spectacle d’humour francophone du Québec contemporain : industrie culturelle et territorialité »).
Ce livre comporte huit chapitres, rédigés par des spécialistes en histoire, en sociologie, en communication, mais aussi en comptabilité et en littérature.
Relecture de RBO : l’irrévérence comme stratégie (par Christian Vanasse)
Pour ce premier chapitre, l’humoriste Christian Vanasse aborde certains sketches dits irrévérencieux de RBO en deux temps, soit avant 1995, puis en 2006-2007, avec le retour du groupe pour deux Bye Bye, la revue humoristique de fin d’année. En présentant ces sketches, Vanasse démontre à quel point RBO usait d’humour politique, comme dans le sketch « Le 4e Reich » :
Sans doute leur numéro d’humour politique le plus achevé, celui-ci utilise la recette du jusqu’au-boutisme typique des comédies comme South Park pour se moquer de la paranoïa d’une partie de la minorité anglophone du Québec face à la loi 101. Il faut se rappeler qu’à l’époque, des parties comme le Equality Party, ou des individus comme Robert Libman et Howard Galganov, qui se proclamaient eux-mêmes « angryphones », y allaient de déclarations fracassantes contre la loi 101 et le nationalisme québécois, qu’ils associaient au mouvement national-socialiste allemand des années 1930. RBO les prendra au mot en caricaturant un Québec dystopique où les francophones, en uniformes nazis, sont dirigés par un Robert Bourassa surnommé « Le Fourreur ». […] Les parallèles avec l’Holocauste causent une vive émotion, ce qui force l’annulation de la reprise de l’émission. (Vanasse, p. 22)
RBO à la conquête du monde… médiatique et commercial (par Christelle Paré, Jean-Marie Lafortune et François Brouard)
Dans ce chapitre, les auteurs expliquent comment Rock et Belles Oreilles s’est démarqué dans les nombreuses filières des industries culturelles : radiotélévision, scène, musique, vidéoclip et même publicité.
Après avoir exploité le filon radiophonique, qui offre moins de possibilités de pastiche parce qu’il est moins populaire, mais où le travail peut se passer de costumes, de maquillages ou d’éclairages, ce qui le rend beaucoup moins contraignant, RBO a fait rimer humour avec les genres marquants de la télévision (téléroman, jeu-questionnaire, publicité, etc.). La conception de vidéoclips à partir de 1984, dont on pourrait dire qu’ils sont plus que de la radio, mobilisant l’image, et moins que la télévision, en raison de leur courte durée, marque le passage d’une filière à l’autre. (Paré, Lafortune et Brouard, p. 53)
RBO et la télévision (par Pierre Barrette)
Directeur de l’École des médias de l’UQAM, Pierre Barrette démontre l’intérêt que le groupe d’humoristes portait envers la télévision :
Non seulement le groupe était-il familier avec le médium et possédait-il une connaissance ds arcanes de la production télévisuelle, mais les émissions de télé qu’il a parodiées avec le plus de succès constituaient le matériau le plus largement partagé; elles représentent en quelque sorte le degré zéro de l’encyclopédie commune (au sens d’Eco), étant significativement plus accessible que, par exemple, le matériel politique, social, ou économique qui constituait jusque-là les grands référents de l’humour « critique » – chez les Cyniques ou Yvon Deschamps, pour ne citer qu’eux. Cela ne fait pas de leurs sketches des charges moins virulentes pour autant sur le plan politique ou social, contrairement à ce que certains gardiens d’un humour politique plus traditionnel voudraient faire croire. (Barrrette, p. 77)
Barrette répond également aux reproches de la critique envers le groupe, notamment l’aspect scatologique de certaines parodies (« Motonelle », « Similigaz » et « All-Brun », entre autres).
L’écart ironique dans les chansons de Rock et Belles Oreilles (par Karine Bougie)
Dans ce chapitre, Bougie jette un regard sur neuf chansons de Rock et Belles Oreilles, qui ont pour point commun différents aspects des relations entre les hommes et les femmes : séduction, sexualité, procréation, etc. Son analyse s’appuie sur le concept d’écart ironique,
qui consiste en la mise en place d’un contexte de départ, puis sa mise à distance par un personnage, un élément de l’histoire et des effets stylistiques. C’est cet écart qui, à notre avis, fait l’originalité des chansons du groupe et des personnages représentés. […] L’écart ironique est fréquemment employé au détriment du personnage principal (celui qui chante), mais certains textes l’utilisent pour se moquer d’autres figures, comme nous le montrerons. (Bougie, p. 88)
Chantal Francke, la fille de RBO : vecteur féministe? (par Lucie Joubert)
Avec Joubert, on se penche sur la place qu’a occupée Chantal Francke au sein de Rock et Belles Oreilles. Seule fille du groupe, elle est entre autres reconnue pour son talent d’imitation. Dans ce chapitre, Joubert s’intéresse également aux rôles joués par Francke, comme celui de Zoé dans la parodie du jeu-questionnaire Génies en herbe, mettant en compétition une équipe française contre une équipe québécoise :
Zoé Tâtillon […] n’est pas la moindre de ces précieuses ridicules modernes qui en savent trop et qui énervent, car sa présence permet d’amener un élément comique supplémentaire : le fossé entre une France cultivée, studieuse, peut-être un peu mythique, et un Québec ignare et satisfait de l’être. Ici non plus, les hommes n’ont pas le beau rôle : ils personnifient une équipe qui rappelle les formations heavy métal, sans manière (pas d’classe), qui brandit son ineptie comme un fleuron inculturel. Zoé, hélas, ne s’en tire pas mieux : son savoir lui attire les foudres d’un adversaire qui lui met le bâillon. (Joubert, p. 140)
RBO et le nationalisme québécois : entre dérision et autodérision (par Robert Aird)
Avec ce chapitre, Aird analyse plusieurs sketches de Rock et Belles oreilles, qui reflètent entre autres le rapport des Québécois avec leur langue, leur histoire, mais également avec leur identité et leur désir d’émancipation nationale.
L’américanisation n’est certes pas une solution pour RBO, qui la tourne en dérision en se demandant ce qui serait arrivé si les Québécois étaient devenus Américains. Dans un pastiche d’une promotion pour la loi 101, deux icônes et porte-parole de la chanson et de la culture nationales sont travestis en artistes américains : Félix Leclerc chante à la manière d’Elvis Presley; Gilles Vigneault, d’un rappeur. Le groupe Beau Dommage joue quant à lui un style de rock populaire des années 1960. Le Québec ne serait plus le Québec, mais une espèce de sous-culture états-unienne comme l’incarne le personnage Elvis Gratton, qui cherche à ressembler au rocker américain et au colonisateur anglo-saxon, y parvenant toutefois de façon médiocre et ridicule. (Air, p. 166)
RBO 2.0 : à la recherche du sketch « culte » en ligne (par Anouk Bélanger et Martin Tétu)
Dans ce chapitre, Bélanger et Tétu s’intéressent aux sketches de Rock et Belles Oreilles diffusés sur YouTube. Ils analysent entre autres le contenu le plus populaire du groupe, mais aussi les interactions entre les utilisateurs de la plateforme.
Nous avons examiné les commentaires des usagers ayant visionné les vidéos du palmarès pour voir s’ils révélaient une communauté de fans par le biais d’interlocuteurs assidus en échanges réguliers. Or, les échanges entre les quelques usagers diffuseurs et ceux qui visionnent et commentent ne sont ni assidus ni réguliers, bien que certains sketches aient fait l’objet de plus de 400 commentaires au total. Au sein du « Top 20 », un seul usager contributeur a mis en ligne 11 des 20 vidéos […]. Les autres usagers contributeurs sont beaucoup moins actifs sur le site, autant par le nombre de vidéos de toutes provenances qu’ils ont mises en ligne (moins de 10 vidéos) que par leurs vidéos de RBO (deux ou trois seulement dans leur « canal »). Il y aurait donc deux types d’usagers contributeurs-diffuseurs : le « fan » dévoué, qui diffuse exclusivement sa passion (RBO) et génère la majorité du trafic en ligne; et « l’intéressé », qui veut partager une vidéo de RBO en particulier qu’il a bien aimée. (Bélanger et Tétu, p. 191-192)
RBO et les fluctuations de la critique : génération et permanence (par Catherine Voyer-Léger)
Pour ce dernier chapitre, Voyer-Léger examine la réception critique des revues de fin d’année de Rock et Belles Oreilles, dont les critiques apparues dans La Presse et dans Le Devoir. L’auteure remarque entre autres un changement de perception entre les émissions de fin d’année de 1987, 1988 et 1990 et celles de 2006 et 2007 :
Nous observons que si le groupe a été bien accueilli à ses débuts, assez rapidement, et malgré une ouverture évidente à la démarche, la critique apportera plusieurs bémols, saluant surtout le talent formel et déplorant souvent la faiblesse des textes et la facilité des gags vulgaires ou méchants. […] Pourtant, quand RBO fera son retour au début des années 2000 dans le cadre du Bye Bye, l’accueil de la nouvelle sera très chaleureux. (Voyer-Léger, p. 207)
En conclusion
Dans l’introduction de ce livre, Lucie Joubert reconnaît que ce collectif d’études avait des limites. Elle regrette entre autres l’absence de textes sur le travail d’écriture du groupe d’humoristes, mais aussi le recensement de références culturelles qu’on pouvait retrouver dans les sketches ainsi que l’absence du regard de chercheurs universitaires d’origine non québécoise.
L’œuvre de Rock et Belles Oreilles étant vaste, il serait impossible de consacrer un seul livre à l’analyse de son contenu et de sa réception, autant auprès de la critique que du public. Et encore, quelle influence ce groupe a-t-il eue sur les générations d’humoristes suivantes? Leurs sketches des années 1980 et 1990 seraient-ils mieux reçus dans un nouveau contexte?
Malgré tout, Rock et Belles Oreilles : analyse de l’œuvre d’un groupe mythique est un essai pertinent, avec une présentation diversifiée d’études sur différents aspects du groupe (le féminisme, le nationalisme, etc.) tout en demeurant accessible au grand public. Cependant, je ne suis pas responsable des élans nostalgiques que vous ressentirez en revivant les sketches et les chansons les plus mémorables.
Enfin, si vous avez aimé ma critique et souhaitez encourager les auteurs (et moi), vous pouvez vous procurer ce livre via mon lien d’affiliation. Merci!