Les franchises sont omniprésentes dans nos vies. Nous n’avons qu’à penser au Marvel Cinematic Universe, qui s’est décliné en des dizaines de films, ou encore à My Little Pony, dont la prochaine génération arrivera bientôt sur Netflix en septembre 2021.
Le livre que je vous présente aujourd’hui a aussi pour sujet les franchises. Toutefois, son analyse s’effectuera à partir d’une seule figure.
À propos du livre Xénomorphe. Alien ou les mutations d’une franchise
Xénomorphe. Alien ou les mutations d’une franchise est un livre rédigé par Megan Bédard et publié chez Les éditions de ta mère en 2020. Doctorante en études sémiotiques à l’UQAM, Bédard a également signé un texte dans le collectif Un Noël cathodique : La magie de Ciné-Cadeau déballée et participe aux balados Pop-en-stock et Les Amazones.
Avec son essai, Bédard s’intéresse particulièrement au xénomorphe, la figure extraterrestre de la franchise Alien. Selon la chercheuse Karin Littau, le xénomorphe « serait alors une créature dont le cycle de reproduction biologique imite celui des franchises transmédiatiques contemporaines […] L’extraterrestre choisit en ce sens un hôte (un humain ou un média) et s’en approprie les caractéristiques (biologiques ou sémiotiques) afin de se reproduire et de s’adapter » (Bédard, p. 8).
C’est en s’appuyant sur la thèse formulée par Littau que Bédard propose une exploration « des processus d’expansion et d’adaptation déployés par la franchise Alien en l’étudiant dans son entièreté » (Bédard, p. 9). À travers six chapitres, l’autrice parcourt plusieurs œuvres dans plusieurs médias : le cinéma, bien sûr, mais aussi la bande dessinée, le jeu vidéo et le roman. À la fin de l’essai, nous retrouvons un inventaire quasi exhaustif des œuvres de la franchise ainsi que des itinéraires alternatifs pour ceux et celles qui souhaiteraient s’investir dans une trame narrative en particulier.
Chapitre 1 – L’organisme parfait
Dans ce premier chapitre, la chercheuse s’intéresse à la manière dont naît et grandit une franchise. Elle aborde également certaines notions comme le paratexte, la narration transmédiatique ou la figure :
« Pour le dire plus simplement, dans le cas du xénomorphe, la figure est un personnage ayant été exposé à un processus d’appropriation. Durant la lecture ou la spectature, il y a des personnages qui me parlent plus que d’autres, qui viennent saisir mon attention et qui entrent en résonnance avec mon vécu personnel. Ils se synthétisent alors en un ensemble de traits reconnaissables (que Carlos Alberto Scolari désigne par la marque de commerce, dans un contexte de franchise, comme on l’a vu) et s’accompagnent d’un ensemble de symboliques qui lui sont propres » (Bédard, p. 28)
Chapitre 2 – À bord du Nostromo
Bédard poursuit par la suite avec un chapitre consacré au premier film de la franchise, soit Alien, sorti en 1979. Par son analyse du film, l’autrice évoque les moments marquants contribuant à développer la figure mythique du xénomorphe, dont la fameuse scène du chestburster :
« L’iconographie de cette violence naissance traverse même les frontières de l’univers d’Alien et est désormais reconnaissable, peu importe le contexte. Dans le déroulement du film, cette scène vient provoquer une rupture : l’horreur graphique des images contraste brutalement avec l’anticipation euphémique de la première moitié du récit. Sa naissance parasitaire actualise, thématiquement et formellement, la nature hybride de l’extraterrestre qui transgresse les frontières : corporelles, d’abord, mais aussi génériques (horreur et science-fiction) et médiatiques (dans ses prolongements transmédiatiques futurs). Cette scène joue ainsi un rôle essentiel dans la configuration de l’identité de la figure : elle est un traumatisme gravé dans la mémoire culturelle collective, répété compulsivement pour tenter de panser la blessure » (Bédard, p. 60-61 )
Chapitre 3 – Longue vie à la reine
Avec ce troisième chapitre, l’autrice se penche sur les autres films de la franchise, qu’il s’agisse de suites ou d’antépisodes (prequels), et comment ceux-ci apportent une nouvelle pierre au macrorécit :
« Un récit à la fois, un auteur à la fois, ces films ont introduit de nouvelles thématiques qui s’intègreront par la suite à la marque de commerce de la franchise : Aliens, ses soldats, ses colonies sur d’autres planètes et la reine xénomorphe; Alien³ et ses milieux carcéraux ainsi que la mort de l’héroïne; Alien: Resurrection et les hybrides humain-xénomorphe, intégrant l’intervention humaine dans l’évolution des extraterrestres. Cette part de nouveauté s’ajoute à l’ensemble de constantes propre à Alien : les corridors encombrés, les lieux sombres, claustrophobiques et isolés, l’esthétique biomécanique de l’extraterrestre, les androïdes, la Compagnie, etc. » (Bédard, p. 80)
Chapitre 4 – Sérialiser la peur
Par la suite, la franchise s’étend à l’extérieur de son média de naissance, le cinéma, pour prendre vie dans d’autres formats. Dans ce chapitre, Bédard aborde différentes incarnations du xénomorphe dans différents médias, à travers le roman, mais surtout, à travers la bande dessinée :
« Si les xénomorphes ont tendance à échapper au regard de la caméra, les planches des bandes dessinées, par leur construction séquentielle et leurs images fixes, font le plus souvent culminer les scènes d’attaque en montrant explicitement le corps de l’extraterrestre sur l’entièreté de la page. La vitesse des mouvements de caméra, exacerbant le sentiment d’angoisse et la violence de ces attaques, est remplacée en bande dessinée par une multiplication des cases qui détaillent les étapes de l’agression : les petites bouches secondaires sortent de la tête lisse et noire pour faire exploser le crâne de ses victimes; les longues queues squelettiques dardent les corps avant de les emporter au cœur du nid où ils serviront d’incubateur à la prochaine génération de xénomorphes. Ces illustrations abondent en sang et organes expulsés hors de l’enveloppe corporelle – figeant et démultipliant les transgressions et la destruction des corps. » (Bédard, p. 101-102)
Ce chapitre est également l’occasion d’introduire le concept de crossover, soit la rencontre de deux univers. Le film Alien vs. Predator, sorti en 2004, fait partie des nombreux croisements transfictionnels de la franchise.
Chapitre 5 – Voyages au cœur de la machine
Pour ce chapitre, la spécialiste en culture populaire nous invite à explorer l’expansion transmédiatique et transfictionnelle du xénomorphe dans le jeu vidéo. Elle s’intéresse particulièrement au jeu Alien: Isolation, qui est à la fois un hommage au film de 1979 et une suite à cette histoire :
« […] Alien: Isolation s’accord avec la théorie d’Henry Jenkins sur la narration vidéoludique (2004) qui voulait que cette dernière s’étudie en rapport étroit avec cette conception de l’environnement par le truchement des récits imbriqués : les objets éparpillés dans l’espace deviennent porteurs de microrécits que je dois actualiser pour progresser dans le jeu. Le passage d’un média à un autre confère par conséquent une nouvelle fonction aux objets qui, intégrés aux mécaniques de jeu, font dorénavant partie d’un espace interactif. Je peux – et dois – interagir avec ceux-ci pour faire progresser le récit vidéoludique. » (Bédard, p. 135 )
Chapitre 6 – À quoi rêvent les xénomorphes?
Dans ce dernier chapitre, Bédard porte attention aux récits originaux parus dans les romans de la franchise – soit Alien: No Exit (2008), Alien: Out of the Shadows (2014), Alien: Sea of Sorrows (2014) et Alien:River of Pain (2014) –, qui
« […] proposent, chacun à leur manière, un décentrement de perspective, autant sur le plan fictionnel que médiatique. La bande dessinée, grâce au langage scriptural et à l’usage des récitatifs, avait déjà effectué une première plongée au cœur de la psychée des personnages (humains et extraterrestres). Le pouvoir évocateur et la subjectivité interne, constitutifs du média littéraire, décentrent plus encore les représentations s’inscrivant dans la formule de la franchise Alien. Qu’elle s’incarne dans la réécriture d’œuvres déjà connues comme l’exercice de River of Pain ou à travers les pensées verbalisées d’une colonie de xénomorphes, la perspective décalée du corpus littéraire de la franchise témoigne de cette dynamique d’adaptation et de mutation propre à la figure du xénomorphe. » (Bédard, p. 160)
En conclusion
Dans sa conclusion, Bédard va au-delà de la franchise Alien en parlant de l’influence d’une œuvre sur notre réception, sur notre regard, sur notre interprétation du récit et ceux qui suivent. Pour l’autrice :
« Non seulement mon contact avec l’univers fictif d’Alien a changé mon regard sur la manière dont j’interprète les objets que je crois au quotidien, il conditionne aussi une posture active par rapport à ces objets. L’attente de la rencontre est un travail de recherche, de désir : le regard cherche des formes à reconnaître, des liens à tisser avec les expériences passées. C’est parce que je me suis confrontée à l’altérité d’un monde de fiction, parce que lui ai laissé à l’occasion d’enrichir mon encyclopédie personnelle (pour reprendre la théorie d’Umberto Eco, 1985[1979]) et de me transformer que la fiction a un pouvoir pouvoir [sic] sur moi. Et lorsque je d’Alien, je parle de ce voyage transformateur que j’ai vécu lors de ma traversée de son univers, autant que de la mutation du personnage à travers les époques. » (Bédard, p. 170)
De mon côté, Xénomorphe. Alien ou les mutations d’une franchise a, bien entendu, laissé une marque sur moi. Même si je n’ai jamais vu les films, j’ai eu la chance d’avoir un aperçu sur l’étendue de cette franchise, admirablement résumée par Bédard. Cet essai peut à la fois servir d’introduction à l’une des nombreuses œuvres de la franchise, mais aussi d’éclairage sur un contenu qui nous a touchés auparavant. Mais surtout, ce livre offre une réflexion intéressante sur les franchises, sur la manière dont elles naissent et renaissent à travers la culture populaire.
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