J’ai lu : Mister Big ou La glorification des amours toxiques

En 2021, pour la journée « Le 12 août, j’achète un livre québécois », je me suis procuré le livre Mister Big ou La glorification des amours toxiques. Bien que je n’ai jamais regardé un épisode de Sex and the City, j’étais curieuse sur la manière dont le sujet allait être abordé. Après avoir enfin eu le temps de le lire pendant les fêtes, je peux dire que je ne regrette pas mon achat.

À propos du livre Mister Big ou La glorification des amours toxiques

Mister Big ou La glorification des amours toxiquesMister Big ou La glorification des amours toxiques est un livre écrit par India Desjardins et publié par Québec Amérique en 2021. Autrice d’une vingtaine de livres, Desjardins est surtout reconnue pour sa série jeunesse Le journal d’Aurélie Laflamme.

Mister Big, qui est le premier essai de Desjardins, aborde les relations toxiques sous l’angle de la culture populaire, en particulier Sex and the City, une série télévisée de 6 saisons diffusée de 1998 à 2004 sur HBO et qui raconte l’histoire de quatre amies célibataires vivant à New York.

Divisé en 13 chapitres, cet ouvrage démontre la relation que Desjardins entretient avec cette série, mais aussi avec les comédies romantiques. Mais il s’agit également d’une analyse sur la relation amoureuse entre Carrie Bradshaw et Mister Big, une relation que l’autrice décrit comme « tumultueuse et toxique qui a abouti sur un happy end » (Desjardins, p. 19).

La grande question

Dans ce premier chapitre, Desjardins raconte la prémisse ayant mené à l’écriture de ce livre, mais aussi son amour et son désamour pour Sex and the City, qui a marqué sa jeune vie d’adulte.

« J’ai regardé la série au compte-gouttes, car à cette époque, c’était comme ça que l’on consommait la télé. Il fallait attendre un jour précis, à une heure précise, et l’enregistrer (sur VHS) si on n’était pas disponible pour l’écoute en direct. Je regardais chaque épisode en parlant au téléphone avec une autre amie célibataire, et on commentait en temps réel. On vivait tout au rythme des personnages principaux. Selon certaines périodes de ma vie, je me suis identifiée à chacune d’entre elles. Comme Samantha, j’ai eu des aventures sans lendemain, il m’est souvent arrivé d’être cynique comme Miranda, je suis passée à travers un douloureux processus de fertilité comme Charlotte, mais la plupart du temps, particulièrement au moment où la série était diffusée, je me suis identifiée à Carrie et à ses questionnements amoureux. » (Desjardins, p. 16)

Carrie et Big

L’autrice présente par la suite un résumé de la relation de Carrie avec Mister Big à travers la série télévisée et les deux films qui, selon elle, n’a jamais été égalitaire. Après avoir relaté leur première rencontre, au cours de laquelle Big insulte Carrie, elle fait la lumière sur le negging, qui vient de « feedback négatif » :

« Le negging vise à lancer une insulte légère, souvent à la blague, dans un contexte de séduction. L’objectif est de diminuer momentanément l’estime de soi de la personne visée, dans le but d’augmenter son besoin d’approbation et de la rendre plus réceptive lorsqu’elle sera complimentée. C’est très sournois parce que c’est dit sur un ton charmeur, blagueur. C’est une tactique de séduction et de manipulation popularisée par les “pickup artists”, des coachs autoproclamés en célibat. » (Desjardins, p. 25)

La douleur exquise

Avec ce chapitre, Desjardins explore la violence psychologique dans la relation entre Big et Carrie, une violence plus sournoise que les autres types de violence (verbale, économique, physique et sexuelle). À cette fin, elle consulte l’avis de Joane Turgeon, psychologue clinicienne.

Voici un des exemples de violence psychologique notés par l’autrice :

« Carrie apprend par hasard que Big fréquente d’autres femmes, sans que les règles de leur relation aient été mises au clair entre eux, et il minimise comment elle se sent. Plus tard, elle affirme ce qu’elle attend d’une relation avec lui, et il ne répond rien, la laissant interpréter ce qu’elle veut. » (Desjardins, p. 33)

Cendrillon

L’autrice réfléchit sur le rapport entre les femmes et les hommes influents, mais aussi sur le mariage en tant que moyen d’accéder à une meilleure vie. Alors qu’Émilie Bordeleau, héroïne de la télésérie Les filles de Caleb, avait épousé Ovila Pronovost par amour, cela ne serait pas le cas pour une certaine héroïne de Disney :

« Cendrillon ne s’est pas mariée par amour. Et malgré la traduction française de la chanson qui nous laisse entendre que c’est ce qu’elle désire, je ne crois pas que c’est ce qu’elle recherchait. Elle s’engage activement dans sa quête pour accéder à plus, même si elle est aidée par la magie. Elle veut épouser ce prince qu’elle ne connaît pas, pour se sortir de sa situation. Elle n’est pas choisie contre son gré […]. Elle démontre qu’elle a envie de sortir de son enfer (et de sa classe sociale) en tirant l’autre chaussure de sa poche et en se révélant comme la mystérieuse jeune fille du bal. Elle deviendra donc cette femme (seule) choisie parmi (toutes) les autres pour accéder à un meilleur rang dans la société. Et la question demeure : dans cette contrée lointaine, il y a de cela très très longtemps, quelles étaient les autres options de Cendrillon? » (Desjardins, p. 54-55)

Cette contrée lointaine

Toujours dans cette réflexion sur l’accès à la richesse, Desjardins poursuit avec la difficulté pour les femmes d’accéder à la parité.

« Est-il possible qu’ayant si peu de place, de perspectives d’avenir, de possibilités d’atteindre une certaine sécurité matérielle ou même l’indépendance financière, des femmes soient tentées par une relation avec un homme qui se présente comme un “passeport”? » (Desjardins, p. 59)

Passeport auquel Mister Big se compare en faisant miroiter une vie plus aisée à Carrie.

Des princes pas si charmants

« Je me questionne sur ce qui nous est envoyé culturellement comme image d’un prince charmant. Et je crois que c’est pour ça que j’ai intitulé cet essai Mister Big, car si j’avais à définir ce qu’est un prince selon la culture populaire, je la résumerais par ce surnom. Dans un film ou une série pour ados, c’est un gars populaire (souvent sportif, vedette, mauvais garçon), et dans un film ou une série pour adultes, c’est un homme de pouvoir (souvent riche). L’homme en question est souvent distant, refuse de s’engager, et la protagoniste doit passer par toutes sortes d’obstacles pour le conquérir, renonçant souvent à une part d’elle-même. » (Desjardins, p. 66-67)

À partir de cette définition, l’autrice revisionne différentes œuvres et les voit sous un regard nouveau, que ce soit Grease, Sixteen Candles, Pretty Women ou Sweet Home Alabama.

Carrie et Aidan

Dans ce chapitre, Desjardins se concentre sur la relation entre Carrie et Aidan, une relation considérée plus saine que celle entre Carrie et Big, mais qui s’est terminée par une rupture.

« Je ne vais pas faire un plaidoyer pour Aidan. Je vais toujours défendre le droit des femmes de refuser d’être avec une personne seulement parce qu’elle est gentille. Ça en prend plus pour une relation amoureuse. Mais j’aimerais explorer son personnage comme archétype d’homme qui est toujours présenté comme celui qu’il faut éviter à tout prix, celui qui doit absolument rester dans le rôle du meilleur ami ou de l’ex avec qui on l’a échappé belle, sans quoi on aurait eu une vie plate. » (Desjardins, p. 80)

You had me at « hello »

Ce chapitre, dont le titre fait référence à une réplique du film Jerry Maguire, est d’abord l’occasion de se questionner sur notre position morale par rapport aux violences faites aux femmes. Mais il dévoile également cette ambivalence sur l’influence des comédies romantiques sur notre imaginaire :

« Je dois toutefois admettre qu’en commençant ma recherche pour cet essai, je voulais trouver une réponse claire, et je voulais que cette réponse soit : oui, les œuvres de fiction colonisent notre imaginaire et influent sur le développement de notre personnalité, et de nos comportements sociaux et interpersonnels. Un peu comme un “Ah, ah! Je le savais!”. Mais j’aurais dû me douter que rien n’est si simple. » (Desjardins, p. 98)

C’est juste du ketchup

Avec ce chapitre, Desjardins réfléchit sur l’impact des films sur notre imaginaire. Elle aborde par la suite son expérience de revisionnement du film Don’t Tell Mom That the Babysitter’s Dead, qui est plus positive qu’elle ne l’avait imaginée :

« En y repensant, je suis étonnée de trouver rafraîchissantes des choses aussi simples (surtout quand on pense que le film date de 1991). Mais, parce qu’au cinéma, on voit souvent des cadavres camouflés irrespectueusement, des femmes rivales, du harcèlement sexuel non seulement banalisé mais jamais nommé et des relations amoureuses malsaines, c’est peut-être normal de percevoir ces éléments comme originaux. » (Desjardins, p. 113)

Malheureusement, ce film a été mal reçu par les critiques et l’une de ses scénaristes, Tara Ison, n’a pas eu droit à une seconde chance.

Superman

L’autrice revient sur une triste histoire d’un garçon qui est décédé en 1979 en voulant imiter Superman, et aborde également l’intention des auteurs et autrices derrière leurs œuvres :

« Je ne pense pas que les scénaristes de Superman avaient l’intention d’amener un petit garçon à sauter en bas de la fenêtre en écrivant cette histoire. Tout comme je ne pense pas que les scénaristes de Sex and the City avaient l’intention de glorifier un amour toxique. Au contraire, leur intention était plutôt de donner une place à un nouveau discours féminin. Michael Patrick King, qui a été mon professeur de scénarisation sans le savoir, m’inspire d’ailleurs une affection particulière, et je ressens son désarroi quand on le critique aujourd’hui sur son œuvre passée, car j’ai l’impression, pour avoir entendu tous ses commentaires et écouté ses entrevues, que son désir de présenter les choses autrement était sincère. » (Desjardins, p. 120)

Le morceau de sucre

Dans ce chapitre, Desjardins mentionne le déclin des films romantiques au profit des films de superhéros dans les salles de cinéma. Toutefois, les films romantiques connaissent un regain de popularité sur les plateformes de visionnement en continu comme Netflix.

C’est également dans ce chapitre que l’autrice fait la lumière sur le livre He’s Just Not That Into You, un livre de psycho pop adapté par la suite au cinéma :

« Alors que le livre nous dit que la réalité n’est pas comme la fiction, le film nous ramène aux mêmes codes. La magie existe : il n’est peut-être pas intéressé maintenant, mais le sera éventuellement. La fiction a ainsi détruit les principes avancés par le livre. Aujourd’hui, quand on parle de He’s Just Not That Into You, même si plusieurs personnes savent que ça vient d’une réplique de Sex and the City, d’autres pensent que le film a été adapté d’un roman et ne savent pas qu’il s’agissait d’un livre nous présentant une vérité crue et difficile à admettre : un happy end avec une personne qui dès le départ ne se montre pas intéressée, ou est méchante, égocentrique ou autres, a peu de chances de se produire.

La vérité fait mal dans la vraie vie, et on préfère avaler les mensonges sucrés de la fiction. » (Desjardins, p. 133-134)

Une place à nous

Desjardins, propose, avec ce chapitre, une réflexion sur l’écriture de personnages féminins et des relations amoureuses, mais aussi sur la place des créatrices d’œuvres de fiction.

« Outre le fait de parler d’œuvres américaines, de culture pop ou d’admettre mes propres failles, je veux surtout parler des conditionnements qui sont perpétués d’une histoire à l’autre. Ce que je souhaiterais surtout, c’est qu’on sorte de cette spirale où les personnages féminins sont traités comme inférieurs ou interchangeables. Où les sujets qu’on identifie comme masculins sont les seuls qui méritent d’être pris au sérieux, et où ceux qu’on identifie comme féminins ne le sont rarement, sauf quand ils sont abordés par un homme. Et que lorsqu’on parle d’amour, on accepte d’appliquer différentes règles à la façon de raconter ces histoires. » (Desjardins, p. 150)

Carrie

En guise de conclusion, l’autrice revient sur la question qui a enclenché son exercice intellectuel sur les relations toxiques. Entre Big ou Aidan, elle choisit Carrie.

« Et j’ai besoin de me réconcilier avec elle. Car elle a été moi. J’ai été cette femme qui a cru que des relations toxiques étaient romantiques, grandioses, qu’elles valaient la peine d’être vécues jusqu’au bout et qu’elles auraient des dénouements heureux. Ça m’a pris beaucoup trop de temps à me sortir de ce monde rempli d’illusions. » (Desjardins, p. 155)

En conclusion

En moins de 200 pages, Mister Big ou La glorification des amours toxiques offre une réflexion intéressante sur nos conceptions à propos de l’amour. Que l’on soit fan ou non de comédies romantiques, il est tout à fait possible d’être influencé par ces œuvres.

Bien entendu, Mister Big n’est pas une dénonciation envers Sex and the City. Il s’agit plutôt du parcours personnel d’India Desjardins, qui se questionne sur l’importance qu’a prise cette série dans sa vie tout en reconnaissant les conséquences positives autour de celle-ci, notamment celle de mettre en lumière la sexualité des femmes dans la trentaine.

Tout en reconnaissant les défauts de cette série et d’autres œuvres, l’autrice nous invite à faire mieux, que ce soit en écrivant des relations amoureuses plus saines et plus égalitaires ou en consommant des œuvres moins connues dans la culture populaire. Et ça, je trouve ça rafraîchissant.

Si vous avez apprécié cette critique et désirez encourager l’autrice (et moi), vous pouvez acheter ce livre grâce à mon lien d’affiliation. Merci!