J’ai lu : Astérix chez les Québécois : un Gaulois en Amérique

Je dois l’admettre : même si je suis familière avec l’univers d’Astérix, je n’ai pas lu tous les albums. Par contre, comme bon nombre de Québécois, j’ai suivi plusieurs fois ses aventures animées lors des Ciné-Cadeau. Lorsque j’ai appris que Tristan Demers, bédéiste et auteur de Tintin et le Québec, avait sorti Astérix chez les Québécois en novembre 2018, je m’étais dit que je devais à tout prix critiquer ce livre pour mes collègues universitaires. Heureusement, je pouvais compter sur le soutien des Éditions Hurtubise, qui m’ont envoyé une copie de presse. Je les remercie du fond du cœur pour cette copie, qui a rempli mes moments de lecture du temps des fêtes.

Astérix chez les Québécois

À propos d’Astérix chez les Québécois

Comme son titre l’indique, Astérix chez les Québécois est un livre documentaire expliquant l’impact d’Astérix au Québec, un impact différent de celui laissé par Tintin :

La Révolution tranquille se pointait le bout du nez au début des années 1960. Tintin proposait aux Québécois l’aventure avec un grand A, un passeport pour le monde avant l’Expo, un journalisme romanesque qui en faisait rêver plus d’un. Astérix, lui, carburait à l’humour et à l’autodérision, aux calembours et aux références historiques. C’était un autre monde que nous découvrirons avec autant de passion que celui d’Hergé. (Demers, p. 7)

À défaut de ne pouvoir résumer chaque chapitre, nous allons résumer le tout autour de thèmes que nous avons identifiés.

La petite histoire d’Astérix au Québec

Les bédéphiles les plus aguerris savent qu’Astérix est né dans le magazine Pilote, en 1959. Cependant, les Québécois devront attendre jusqu’en novembre 1965 pour le voir apparaître dans un journal bien de chez nous, La Patrie, dans un format feuilletonesque. Le réseau de distribution du journal, Messageries La Patrie, s’occupe également de la diffusion du journal Pilote au Québec :

Les copies arrivent par bateau, lentement, souvent plus de sept ou huit mois après leur parution initiale en France, ce qui permet de proposer aux Québécois des numéros de type « Spécial Noël » en plein mois de juillet ou « Vacances estivales » entre deux tempêtes de neige! (Demers, p. 17)

À cette époque, se procurer les albums n’était pas simple. Certaines librairies importaient directement de Paris via l’éditeur Dargaud. D’autres entreprises, comme les Distributions Éclair, récoltaient les exemplaires invendus du Pilote et créaient des albums reliés. La question de la distribution au Québec se réglera en 1977, avec la fondation de Presse Import.

Astérix au cinéma

Demers revient sur les premiers longs métrages d’Astérix, comme Astérix le Gaulois et Astérix et Clépoâtre, ainsi que leur réception au Québec. L’auteur nous fait également découvrir un court métrage éducatif, Ti-Louis mijote un plan…, dans lequel des admirateurs d’Astérix écrivent une lettre à Goscinny et Uderzo pour leur donner des idées d’aventures pour le Gaulois. Et n’oublions pas non plus le phénomène Ciné-Cadeau, la programmation du temps des fêtes de Radio-Québec (devenu ensuite Télé-Québec) qui diffusait des longs métrages animés à la télévision, dont ceux d’Astérix, et qui fait toujours fureur dans les années 2010.

En 2015, Ciné-Cadeau attirera plus de cinq millions de téléspectateurs. Le petit Gaulois occupera les six premières positions des dessins animés les plus regardés de la programmation, atteignant 660 000 téléspectateurs au moment de la diffusion du film Les Douze Travaux d’Astérix! Au final, 73 % des Québécois francophones rivés à leur téléviseur auront regardé au moins une fois Ciné-Cadeau pendant les vacances de Noël. (Demers, p. 35)

Marketing et produits dérivés

Astérix, mais aussi Obélix, aura marqué l’imaginaire des Québécois par la publicité. En effet, l’aluminerie Alcan fera appel aux célèbres Gaulois afin de promouvoir l’aluminium et l’ingéniosité canadienne.

Diffusées dans les écoles, auprès des employés d’Alcan et à la télévision de Radio-Canada, ces publicités seront bien accueillies, malgré l’éclatement de l’univers ancestral gaulois qu’elles suggèrent. Le géant de l’aluminium s’en servira pour faire connaître son travail au grand public, mais aussi pour informer ses employés des formations internes auxquels ils ont droits. (Demers, p. 48)

Plus tard, vers la fin des années 1980, Coca-Cola utilisera Obélix pour vanter le bon goût du Coke Diète. S’il partage l’écran avec de nombreuses vedettes québécoises, ce ne sera pas le cas avec Céline Dion, puisqu’il s’agit d’une condition imposée par l’équipe de gérance de la chanteuse : « Cette stratégie assure une indépendance commerciale à Céline, qui se transforme ainsi en porte-parole de Coke Diète et non en faire-valoir d’Obélix » (Demers, p. 57).

Côté produits dérivés, les Québécois ont eu droit aux casse-têtes, aux cahiers à la colorier, aux aimants… Tristan Demers retrace également le succès de la campagne promotionnelle lancée par la Biscuiterie Viau en 1996 :

Le concept est simple : 16 cartes à collectionner illustrent les personnages phares de la série et sont dissimulés aléatoirement dans les boites de biscuits. Il est possible de gagner instantanément un t-shirt Astérix en tombant sur une « carte sanglier », mais l’objectif ultime est de rassembler toutes les cartes de la collection pour ensuite les classer précieusement dans un album muni de pochettes plastifiées offert en épicerie. (Demers, p. 52-53)

La réception des albums au Québec

Quelques pages sont consacrées à la réception critique de certains albums d’Astérix, comme Le Grand Fossé, qui paraît au même moment que la campagne référendaire de 1980 au Québec. Le Domaine des dieux, La Grande Traversée, Astérix chez les Bretons, Astérix et le chaudron et Le Devin sont également cités, mais ils n’ont pas autant divisé les critiques québécois comme La Rose et le Glaive. Demers soulève une hypothèse sociologique pour expliquer ce débat :

C’est bien connu, notre conception des rapports hommes-femmes diffère de celle des Français, voire des Européens en général. Plus affranchie des rôles traditionnels, la femme québécoise demeure une anomalie aux yeux de plusieurs : elle refuse de porter le nom de son mari, n’hésite pas à faire les premiers pas pour draguer, n’a que faire des gestes galants qui la placent en position de faiblesse et, surtout, assume, peut-être mieux que plusieurs autres, son multi-rôle de femme d’affaires et de mère engagée, passant aisément de la gestionnaire d’entreprise la semaine à la hockey mom survitaminée le week-end. En ce sens, et même en considérant que les aventures d’Astérix se déroulent il y a deux mille ans, les revendications de Bonemine et de ses comparses semble référer à des combats révolus. (Demers, p. 94)

Astérix et les chercheurs

Cette section n’a que quelques pages, mais puisque nous sommes un blogue sur les recherches académiques, nous ne pouvons l’ignorer. Demers fait entre autres référence au mémoire de maîtrise de Marie Christine Bernard (« La parodie dans Les aventures d’Astérix Le Gaulois : pour une ouverture sur l’inscription du littéraire dans le texte de bandes dessinées »), qui s’intéresse au succès de la série chez une nouvelle génération de lecteurs dans les années 1990.

Demers cite également Mira Falardeau, spécialiste de l’image comique, historienne de l’art et dessinatrice, qui explique pourquoi les Québécois se reconnaissent avec Astérix et Tintin :

« On s’identifie à Tintin et Astérix parce que sans la force du groupe, ils ne sont personne. Ça nous ressemble collectivement, on peut se reconnaître dans cette série en y transposant nos travers et nos forces! » (Falardeau, citée dans Demers, p. 83)

D’autres experts vont apporter leur grain de sel tout le long du livre, comme Michel Noël (ethnologue spécialiste de la question autochtone) pour La Grande Traversée ou Jean-Philippe Warren (sociologue) pour expliquer l’écart culturel entre Québécois et Canadiens anglais en revisitant Astérix chez les Bretons.

Astérix au musée

Un autre segment digne d’intérêt est celui consacré aux expositions muséales sur Astérix. En effet, le Gaulois attire les foules dans les musées québécois et ces derniers n’hésitent pas à faire preuve de créativité pour entremêler histoire et culture populaire. Par exemple, en 2003, le Musée de la civilisation de Québec adapte une exposition sur Astérix créée par le Rijksmuseum van Oudheden de Leiden (Pays-Bas). Résultat : en moins de 15 mois, l’exposition Astérix et les Romains attire 439 000 visiteurs!

Le visiteur déambule dans plusieurs zones aux couleurs d’Astérix : illustrations surdimensionnées, reconstitutions tridimensionnelles, images grandeur nature et, surtout, quelque 200 artéfacts archéologiques (monnaie, casques et glaives, pointes de lance, bagues, etc.). Dans le village gaulois grandeur nature et entre les tentes romaines, les dessins originaux d’Uderzo et les précieux artéfacs se voisinent. (Demers, p. 110)

Astérix et la politique

Enfin, il serait impossible d’ignorer l’impact d’Astérix sur la politique québécoise. En effet, beaucoup de Québécois se sont identifiés aux Gaulois, notamment dans leur résistance face à l’envahisseur. Lors d’un voyage en France en 1977, le premier ministre René Lévesque cite Astérix dans son discours officiel à l’Assemblée nationale :

Le chef indépendantiste n’hésite pas à faire un rapprochement entre la nation qui vient de le porter au pouvoir et le petit moustachu : « Nous pouvons, tout comme vous, évoquer sans rire nos ancêtres les Gaulois. Même s’il nous advient de nous sentir cernés comme Astérix dans son village (…) et de songer aussi que l’Amérique du Nord tout entière aurait fort bien pu être gauloise plutôt que néo-romaine. » (Lévesque, cité dans Demers, p. 142)

Et c’est sans compter les allusions à Astérix dans la caricature. Plusieurs politiciens auront, tour à tour, porté les habits d’Astérix, d’Obélix ou d’Abraracourcix.

En conclusion

Après avoir parcouru ce livre abondamment illustré et documenté, je peux affirmer qu’il s’agit d’une œuvre facilement accessible, que vous soyez chercheur en culture populaire ou non. Malheureusement, s’il y a un seul reproche à apporter, ce serait l’absence d’une bibliographie, qui aurait permis de faciliter les recherches chez les chercheurs. Néanmoins, on peut se consoler avec la mention des sources iconographiques. J’aurais également apprécié plus de détails sur la réception des albums chez les Québécois, mais je peux comprendre si l’auteur ou l’éditeur a préféré ne pas s’attarder sur plus d’une trentaine d’albums.

Malgré les rares défauts, je ne peux que vous recommander ce livre. Parions qu’il sera feuilleté par vos proches et amis si vous laissez votre copie sur une table à café. Si vous avez aimé ma critique et souhaitez encourager l’auteur (et moi), vous pouvez vous procurer ce livre via mon lien d’affiliation. Merci!