J’ai lu : QuébeQueer. Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises

Pour l’édition 2020 de la journée « Le 12 août, j’achète un livre québécois », j’ai choisi QuébeQueer. Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises. Cependant, il m’a fallu beaucoup de temps pour passer à travers les 509 pages de ce livre. Heureusement, cette lecture en a valu la peine.

Sans plus tarder, voici le résumé et la critique!

À propos de QuébeQueer. Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises

QuébeQueer. Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises

QuébeQueer. Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises est un livre sous la direction d’Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Poirier Girard. Il a été publié aux Presses de l’Université de Montréal en 2020.

Comment définir le queer? Dans l’avant-propos, nous retrouvons une définition large de ce mot :

Si, au départ, le queer s’attachait à l’orientation sexuelle, retournant l’injure adressée aux gais et aux lesbiennes, alors traité·e·s de queer dans le monde anglophone par des homophobes cherchant à les discréditer en soulignant leur prétendue bizarrerie, […] force est de constater qu’aujourd’hui, le queer embrasse plus large. D’une certaine façon, il est l’antithèse de ce que Wittig appelait « la pensée straight », son contrepoids, sa contradiction profonde. Il s’institue contre tout ce que le patriarcocapitalisme a posé comme valeurs dominantes : le Patriarcat, le Capital, la Blanchité, l’Adulterie… (Boisclair, Landry et Poirier Girard, p. 13)

Avec une telle définition, les auteurs ont un vaste champ de possibilités afin de définir ce qui est queer et ce qui ne l’est pas. En effet, ce recueil d’essais ambitieux comporte 24 chapitres, répartis à travers 6 sections. Le tout est entrecoupé d’intermèdes artistiques réalisés par Charline Bataille, MP Boisvert, Lora Zepam, Alex Noël, Sophie Labelle et Tiger Opal.

Corps et affects

Nous commençons avec Nicole Côté, qui analyse le roman L’enfant mascara de Simon Boulerice sous l’angle du double mouvement de la honte de la théoricienne queer Eve Kosofsky Sedgwick.

Ensuite, Domenico A. Beneventi s’intéresse au bégaiement comme symbole de la corporalité queer dans le roman Mouthquake de Daniel Allen Cox.

Du côté de l’affect, nous avons Marie Darsigny, auteure montréalaise, qui offre une réflexion intéressante sur la dépression ainsi que la souffrance en tant qu’acte de résistance féministe.

Quant à Isabelle Boisclair, cette dernière aborde un sujet plus difficile, soit l’inceste, abordé principalement par Pattie O’Green et son recueil de textes Mettre la hache.

Modes de vie

Dans cette section consacrée aux modes de vie, nous débutons avec Loïc Bourdeau et son analyse de « l’ovni » littéraire Queues, de Nicholas Giguère. Cette œuvre, présentée sous forme de vers, se veut comme une réflexion à la condition et à l’identité homosexuelle au XIXe siècle.

Par la suite, Étienne Bergeron traite des pratiques dites autodestructrices des protagonistes gais dans la littérature québécoise, particulièrement dans la pièce Ces regards amoureux de garçons altérés d’Éric Noël.

Enfin, Nicholas Giguère (l’auteur de Queues mentionné plus tôt) effectue l’historique de Le Virulent, un bulletin du Comité Sida Aide Montréal (C-SAM) distribué à la fin des années 1980.

Espaces et temporalités

Lieux et époques seront abordés dans cette section. Celle-ci commence avec Guillaume Poirier Girard, qui s’intéresse aux hétérotopies (c’est-à-dire « des lieux où les normes morales qui régissent tout autre lieu sont suspendues » (Poirier Girard, p. 185)) dans le roman Les nuits de l’Underground de Marie-Claire Blais.

Ensuite, Roxane Nadeau propose une analyse du roman Fierce Femmes and Notorious Liars de Kai Cheng Thom, qui se veut comme une réponse nuancée au récit autobiographique trans.

De son côté, Robert Schwartzwald fait la comparaison entre deux pièces, With Bated Breath de Bryden Macdonald et Faire des enfants d’Éric Noël, dans lesquelles le Village gai de Montréal devient un lieu d’échappatoire pour les personnages principaux.

Les théories queer sont également appliquées à l’analyse d’Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau. En effet, Zishad Lak se penche sur la socialité crie dépeinte dans ce roman, une socialité différente du couple et de la famille nucléaire.

Puis, pour clore cette section, Corrie Scott utilise la théorie queer afin d’analyser trois romans d’écrivaines perturbant le cadre hétéronormatif : Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais, Folle de Nelly Arcan et Un enfant à ma porte de Ying Chen. Leur point en commun? Une représentation de l’enfant en dehors de la norme.

Biopolitique

Dans cette section, il est question de critiquer la gestion des formes de vie. À titre d’exemple, Jorge Calderón apporte une réflexion sur l’échec queer à partir de la pièce de théâtre Hosanna de Michel Tremblay.

Maude Lafleur, de son côté, s’intéresse au corps intersexué dans les romans La mue de l’hermaphrodite de Karoline Georges, Une belle famille d’Annie Cloutier et Annabel de Kathleen Winter.

Par la suite, Pierre-Luc Landry, dans un texte à mi-chemin entre la recherche et la création, présente une tentative de corpus littéraire québécois contemporain dans lequel seraient présents les corps gros et l’identité queer : La danse des obèses de Patrick Isabelle, La maison mémoire de Sandra Rompré-Desêchnes, Le Christ obèse de Larry Tremblay et La danse juive de Lise Tremblay.

Quant à Alexandre Baril, il propose, dans son essai de philosophie politique, une queerisation du suicide, en se basant sur l’œuvre de Nelly Arcan (Putain, Folle, Paradis clef en main), mais aussi sur ses propos dans ses chroniques. Cela signifie, entre autres, laisser les personnes suicidaires se réapproprier les discours sur le suicide.

Présenter/représenter

Dans cette avant-dernière section, nous débutons par un essai de Marilou Craft, qui revient sur la polémique du blackface lors de l’édition 2014 du spectacle Revue et corrigée. La contestation de cette pratique, mais aussi la lutte des personnes racisées pour leur représentation dans l’espace public et culturel québécois, devient alors une posture queer.

Ensuite, Marie-Claude Garneau nous présente la démarche de création de projets hybris, un collectif montréalais queer, féministe et interdisciplinaire. Son étude se concentre particulièrement sur deux spectacles, (More) Propositions for the AIDS Museum et Youngnesse.

Finalement, nous retrouvons Sylvie Bérard retrace son parcours de lectrice à la recherche de représentations queer, notamment dans les œuvres de science-fiction d’Élisabeth Vonarburg, d’Esther Rochon et de Philippe Aubert Côté.

Culture pop

Dans la toute dernière section de cet essai, la culture populaire sera abordée d’un point de vue queer. À commencer par le chapitre de Tara Chanady, qui recense les représentations gaies, lesbiennes, bisexuelles et trans à la télévision québécoise. Elle aborde également la mise en scène de l’homosexualité et des identités de genre dans la série Unité 9.

Par la suite, Joyce Baker s’inspire du concept des Femmes Ingouvernables afin de proposer une analyse de l’humour des femmes au Québec. Un humour qui serait, selon elle, un art par lequel les créatrices se réapproprient leur sexe.

De son côté, Stéphane Girard s’intéresse aux identités de position queer and la musique populaire, en ayant pour études de cas Cœur de pirate (la personne queer), Tiga (la personnalité queer) et Éric Lapointe (le personnage queer).

D’un point de vue plus personnel, Thomas Leblanc présente une exploration des différentes facettes de Céline Dion dans l’imaginaire queer. Ainsi, on y retrouve la Céline (pas cool), la Céline québécoise, la Céline médiatique, la Céline femme et la Céline fashion.

Enfin, Florian Grandena et Pascal Gagné interrogent la queeritude du cinéma de Xavier Dolan. Au-delà du refus du cinéaste de voir ses œuvres étiquetées dans la catégorie « cinéma gai », ces dernières sont-elles queer pour autant?

En conclusion

Comme vous avez pu le remarquer pendant la lecture du résumé, QuébeQueer n’est pas pour tout le monde. En effet, pour un lecteur peu habitué aux théories queer et féministes, celui-ci peut se perdre à travers les notions et les concepts abordés. De plus, certains thèmes, par exemple l’inceste ou le suicide, ne conviennent pas aux personnes plus sensibles.

Cependant, ce recueil d’essais contient une grande variété de sujets. En effet, être queer ne signifie pas seulement avoir une orientation sexuelle ou une identité de genre différente. Être queer, c’est être en dehors des normes.

Bien qu’il soit difficile de couvrir toutes les intersections possibles avec le queer, notamment en termes de diversité raciale, je félicite les auteurs et l’équipe de direction de m’avoir fait connaître des œuvres littéraires en dehors de mes champs d’intérêt habituels. J’espère que ce livre ouvrira une porte plus grande aux queer studies québécoises.

Si vous avez apprécié cette critique et désirez encourager les auteurs (et moi), vous pouvez acheter ce livre grâce à mon lien d’affiliation. Merci!