À quand remonte la dernière fois que vous avez aperçu un livre dans une librairie ou sur le Web et que vous vous êtes dit : « Il me faut absolument ce livre dans ma bibliothèque »? C’est la réaction que j’ai eue en apprenant la parution du plus récent livre de Mélanie Bourdaa (et aussi en apprenant la sortie prochaine du livre Pour que tu mèmes encore, mais ça, c’est une autre histoire).
Que vous soyez ou non familier avec les fan studies, je vous invite à lire le résumé qui suit.
À propos du livre Les fans. Publics actifs et engagés
Les fans. Publics actifs et engagés est un essai rédigé par Mélanie Bourdaa et publié par C & F Éditions en 2021. Maîtresse de conférence HDR en Sciences de l’information et de la communication à l’université Bordeaux Montaigne, Bourdaa analyse surtout la réception par les fans des séries télévisées américaines ainsi que les stratégies de productions (transmedia storytelling). En plus de codiriger le livre Fan & gender studies : la rencontre avec Arnaud Alessandrin, la chercheuse a également fait partie du cours en ligne (MOOC) « Comprendre le Transmedia Storytelling » de la plateforme la plateforme France Université Numérique (FUN).
Avec Les fans. Publics actifs et engagés, Bourdaa s’appuie sur les fan studies, un domaine d’études qui a pris de l’expansion depuis le début des années 1990 dans le milieu anglo-saxon, afin de présenter des études de cas contemporains, qui s’enracinent dans différents réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Tumblr, etc.). En effet, comme le rappelle la chercheuse, le phénomène des fans a pris de l’ampleur grâce aux évolutions techniques (avec l’arrivée des technologies numériques), narratives (dans les séries télévisées) et participatives (de la part des fans) :
« Ces trois évolutions témoignent du façonnage d’un nouvel écosystème médiatique modelé par la diffusion des technologies numériques et plus particulièrement d’Internet, et d’une montée en visibilité des publics fans. Il est nécessaire de préciser d’emblée que ces publics, leurs pratiques, activités et engagements ne sont pas un phénomène nouveau. Mais force est de constater qu’Internet a permis aux fans de se rassembler plus rapidement et plus facilement, de se créer des espaces de rencontre et de tisser des liens, et de multiplier leurs activités. » (Bourdaa, p. 15)
Cet essai est divisé en six chapitres, répartis sur deux parties : « Politique(s) du et des fans : activisme et engagement social » et « Pratiques de fans ».
Les fan studies en question : définitions et méthodologies
Dans ce premier chapitre de la première partie, Bourdaa effectue une revue de la littérature concernant les fans et les fan studies. En plus de visiter certaines notions comme « participation culturelle » et « convergence culturelle », elle propose une définition du mot fan, sur laquelle s’appuyer tout au long du livre :
« Pour nous, le fan n’est pas seulement un “suiveur”, un collectionneur ou un enthousiaste pour reprendre les catégories de Longhurst et Abercrombie, il ne placarde pas seulement ses murs de posters comme l’avait souligné Fiske. Il est surtout un producteur de contenus et de sens. Malgré cette définition d’un fan actif, producteur participant et engagé, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’un public non producteur qui est toutefois engagé dans une réception systématique et répétée. Francesca Coppa rappelle ce positionnement de Jenkins, que nous pourrions facilement oublier tant l’auteur a surtout travaillé et mis en avant les fans producteurs et acteurs de leur réception. Ce qui est important est de faire la distinction entre les publics classiques et les publics fans. Et cette distinction passe en général par l’analyse des productions, des créations et des activités dans une communauté. » (Bourdaa, p. 48 )
Activisme culturel et social des fans
Dans ce chapitre, Bourdaa s’intéresse à l’engagement civique ainsi qu’à l’activisme fan. En effet, elle remarque différents degrés d’engagement politique chez les fans, comme le lobbying pour sauver une série d’une annulation, un engagement civique à partir d’un personnage fictionnel ou encore la représentation des minorités (notamment les minorités sexuelles) à l’écran, un sujet qui sera traité dans le chapitre suivant.
Parmi les exemples cités par Bourdaa concernant des personnages fictionnels inspirants, nous retrouvons Superman, Leia Organa ainsi que Wonder Woman :
« Naturellement, ce sont les valeurs prônées par Wonder Woman ainsi que la représentation de la société égalitaire à travers le personnage, ou du moins une représentation non formelle et non binaire des genres, qui vont être mis en avant par les fans dans leur activisme. Par exemple, un fan a créé le Wonder Woman Day, entre 2006 et 2010 à Portland en Oregon, qui vise à lever des fonds pour lutter contre les violences domestiques. » (Bourdaa, p. 82 )
Representation Matters : Les représentations fictionnelles à l’écran et leurs réceptions par les fans
Tel qu’expliqué plus tôt, ce chapitre se penche sur la représentation des minorités, particulièrement les représentations de personnages lesbiens. Dans un premier temps, Bourdaa examine différentes scènes de coming out dans certaines séries et leur impact sur les fans, que ce soit dans Grey’s Anatomy, Supergirl ou Pretty Little Liars.
Ensuite, l’autrice examine l’impact de la mort de Lexa dans The 100 ainsi que les actions mises en place par les fans pour favoriser une meilleure représentation des personnages LGBTQ+ dans les séries télévisées. Parmi ces actions, nous retrouvons entre autres l’utilisation de hashtags sur les réseaux sociaux, la création de campagnes caritatives ainsi que celle d’une convention :
« Créee par un groupe de fans activistes LGBTQ+, la convention ClexaCon [Clexa pour le couple Clarke et Lexa] entend ainsi proposer un espace de partage et une meilleure visibilité pour les représentations en faisant dialoguer les fans avec les parties prenantes de l’industrie (showrunner, actrices, scénaristes, productrices exécutives de séries et webséries). De façon intéressante, les créatrices de cette convention ont mis à profit leurs compétences professionnelles au service de la communauté puisqu’elles travaillent, selon leurs biographies visibles sur le site, dans le marketing, l’organisation d’événements ou bien la gestion d’organisations à but non-lucratif. » (Bourdaa, p. 147 )
L’individu et le collectif : être fan dans une communauté de fans
Bourdaa commence cette deuxième partie en revenant sur la définition du fan, notamment en le dissociant de l’aspect religieux. Elle s’intéresse également à la définition de la communauté de fans :
« Pour résumer, la communauté des fans représente un espace d’identification, de partage, d’émulation intellectuelle et de non-jugement par les pairs, un endroit dans lequel les fans peuvent exprimer pleinement leurs goûts médiatiques et leur passion ainsi que leur identité individuelle et collective. Nancy Baym distingue cinq qualités pour décrire une communauté en ligne : un espace commun (la communauté), des pratiques partagées (les créations, les débats), des ressources et soutiens partagés, une identité commune (à travers le nom notamment), un soutien interpersonnel (la communauté perçue comme une famille). » (Bourdaa, p. 178)
Toutefois, il n’existe pas seulement des aspects positifs au fandom. En effet, l’auteure tient également compte des dynamiques culturelles des fandoms, sources de tensions et de clivages.
Pratiques de fans et acquisitions de compétences
Comme l’indique le titre de ce chapitre, Bourdaa analyse différentes pratiques de fans, pratiques qui permettent qu’acquérir de nouvelles compétences, que ce soit les activités d’archivage ou le cosplay. Parmi les exemples, l’auteure présente le cas d’un cosplayer qui partage des photos d’un WIP (Work In Progress) de son armure d’Iron Man sur une page Facebook :
« [Le cosplayer] propose également des photos et vidéos où il essaye son costume, les fans et pairs pouvant voir le costume se montrer sous leurs yeux, jusqu’à l’assemblage final des deux cents pièces en aluminium qui vont constituer le costume. Ici, le cosplayer met en avant ses compétences en soudure, donc des compétences plus industrielles qui lui permettent de créer une armure, semblable à celle que porte Tony Stark lorsqu’il se transforme en Iron Man. Son travail témoigne également de sa grande connaissance du personnage puisqu’il crée une armure précise de Iron Man (celle du film), sachant que l’armure a évolué depuis la première apparition du personnage dans les comics books, et a également changé entre le premier film Iron Man (Marvel Studios, 2008) et Avengers: Endgame (Marvel Studios, 2019). » (Bourdaa, p. 232-233)
Earpers : le « famdom », la communauté comme famille
Dans ce dernier chapitre, Bourdaa effectue une analyse des Earpers, la communauté de fans de la série télévisée Wynonna Earp. À partir de questionnaires et d’entretiens par échange de mails, la chercheuse révèle comment les Earpers perçoivent leur communauté comme une famille, mais aussi comment ils s’engagent dans certaines activités, comme les levées de fonds ou la création du podcast Tales of the Black Badge :
« Le podcast est ici envisagé comme une forme réfléchie de critique dans le sens où les créateurs peuvent préparer leurs émissions, leurs sujets et les discuter ensuite dans un podcast qui est édité et non proposé en direct. De leur côté, les fans, grâce à la portabilité du média, peuvent profiter quand ils le souhaitent et où ils le souhaitent […] » (Bourdaa, p. 283)
En conclusion
Les fans. Publics actifs et engagés est un livre passionnant sur les fans que tout chercheur ou passionné de fandom devrait avoir dans sa bibliothèque. En effet, cet ouvrage donne un point de vue intéressant sur des enjeux actuels abordé dans les fan studies, notamment les représentations fictionnelles des minorités sexuelles.
Aussi, l’une des grandes forces de ce livre, c’est la capacité de Bourdaa à vulgariser non seulement les notions autour des fan studies, mais aussi l’histoire de ce domaine d’études. Et contrairement à l’optimisme des premiers chercheurs en fan studies, Bourdaa aborde autant les aspects positifs du fandom que les tensions qui peuvent exister entre les fans.
S’il y avait un seul reproche à faire concernant cet ouvrage, ce serait l’absence de mention sur l’état des recherches sur les fan studies en France. Même si nous savons que le monde anglo-saxon a une longueur d’avance sur nous, j’aurais tout de même souhaité pouvoir constater l’ampleur des recherches en langue française au cours de la dernière décennie.
Malgré tout, c’est toujours un plaisir pour moi d’avoir accès à un ouvrage de vulgarisation de qualité, et en français en plus. J’ose espérer qu’il deviendra un classique avec les années.